Les mauvais comptes de la Sécurité routière en 2024

La France n’a jamais compté autant de radars implantés au bord des routes qu’en 2024. Ce qui n’empêche pas le gouvernement de continuer à manipuler chiffres et fonds en se réfugiant derrière la sécurité routière, pour tenter de faire passer la pilule. Mais celle-ci reste coincée en travers de la gorge de la Cour des comptes !

La Cour des comptes n’a aucun pouvoir d’injonction ou de coercition. Elle n’est là que pour mettre son nez dans les comptes publics et faire des recommandations aux gouvernants, ce qui est bien dommage. « Un compte d’affectation spéciale [CAS] qui n’atteint plus son objectif », dénonce ainsi la noble institution, dans son document d’analyse de l’exécution budgétaire 2024 du compte qui régit le contrôle de la circulation et du stationnement routiers. Pour rappel, les « CAS » sont des « opérations budgétaires financées au moyen de recettes particulières qui sont, par nature, en relation directe avec les dépenses concernées », comme le définit le site Légifrance. Dans le « CAS » qui nous intéresse, cela signifie que les recettes des PV et du stationnement sont loin, très loin de financer uniquement des actions en lien avec la sécurité routière ou les infrastructures routières.

Pour autant, ce titre incisif de la Cour des comptes, déjà lu dans plusieurs documents depuis 2020 et accompagné cette fois d'un laconique commentaire précisant que « Seulement 85 % des recettes des amendes sont affectées au compte d’affectation spéciale (CAS), soit 1 660 millions d'euros sur 1 964 millions » tandis qu’à l’inverse, « le CAS reçoit des amendes sans lien avec la police de la circulation », ne va strictement rien changer à ce pur scandale.

Cette extrême complexité du CAS, regrettée par la direction du budget (ministère de l’Économie) et savamment entretenue par la Délégation à la sécurité routière (DSR, ministère de l’Intérieur), sert en effet un objectif poursuivi depuis plusieurs années : détourner les recettes des amendes routières au profit de n’importe quel motif de dépense. S’il n’y a là rien de répréhensible, le contrat moral passé avec les Français lors de l’instauration du premier radar automatique en 2003 est bel et bien rompu : l’argent des radars sert à tout. Mais « Seulement 62 % des dépenses du CAS ont un lien avec la sécurité routière », notent les magistrats de la Cour des comptes. Sauf que, comme nous le démontrions déjà l'an passé, les collectivités, qui se partagent quelques centaines de millions d’euros de ce beau gâteau censés contribuer à « l’équipement en transports en commun » et à la « sécurité routière », enregistrent en réalité ces recettes dans la section investissement de leur budget. Leurs dépenses sont-elles bel et bien en lien avec la sécurité routière ? Rien ne le démontre, et rien ni personne ne vient le contrôler. En réalité, nous sommes donc à des années-lumière des 62 % annoncés.

Désendettement = 38 % des recettes 

Il faut bien avouer que la DSR est devenue maitre dans l’art de casser le thermomètre lorsque la température ne lui convient pas. Pour évaluer correctement l’efficacité des radars automatiques, il s’agirait de corréler leur nombre à l’évolution des morts sur les routes. Or, la Cour des comptes rappelle que la performance des radars n’est pas liée à la baisse des décès sur la route, « mais à la performance des moyens des radars : taux de disponibilité, taux de transformation des messages d’infraction », ce qui n’a strictement aucun rapport avec leur objet initial ! De la même manière, le « désendettement de l’État » prélevé sur les amendes a atteint un niveau record en 2024 : 715,1 millions d'euros, alors que la loi de finances 2024 prévoyait une ponction de l’ordre de 627,3 millions. Le désendettement a ainsi absorbé 38 % des amendes en 2024, sans le moindre lien avec la sécurité routière.

Le nombre de radars au bord des routes était aussi à un niveau record au 31 décembre dernier : 4 753 équipements, soit 131 de plus qu'en 2023. Les radars fixes ont vu leur nombre diminuer (641 contre 724 en 2023), mais cette baisse a largement été compensée par la prolifération des radars tourelles (1 468 au total, soit 135 de plus) et des radars feux rouges, qui ont vu leur bataillon progresser de 117 unités pour atteindre 644 dispositifs en service. Mais plus que le nombre total de radars en fonction, c’est surtout leurs coûts respectifs de maintenance qui sont symptomatiques de la dérive actuelle. Il faut en effet savoir que le coût unitaire annuel de maintenance d’une voiture radar était de 38 242 € en 2024. Si ce coût s’est révélé en baisse de 5 % par rapport à 2023, il demeure 127 % plus élevé que la dépense de maintenance nécessaire à un radar de vitesse moyenne (ou « radar chantier »), qui est le deuxième plus onéreux à entretenir de tout le parc. Par rapport à un radar tourelle, le prix de la maintenance de la voiture radar est supérieur de 506 % ! « La généralisation de la mesure d’externalisation de la conduite des voitures radars augmente de facto les coûts de maintenance », grince la Cour des comptes, qui ne manque pas de noter que les entreprises privées à qui est confiée la conduite de ces voitures banalisées nous fliquant incognito dans la circulation (voir notre étude sur le sujet) n’oublient pas non plus de faire grimper le montant de la facture présentée à l’État chaque année.

Les radars n'ont pas fini de se multiplier

L’année 2024 a en outre apporté un nouvel enseignement largement anticipé par la Ligue de Défense des Conducteurs : « La fin de la perte d’un point sur le permis de conduire pour les petits excès de vitesse depuis le 1er janvier 2024 n’a pas été perçue par les automobilistes comme une incitation à rouler plus vite », note la Cour, qui détaille que la moitié des infractions relèvent toujours d’un excès inférieur à 5 km/h.

La manne financière constituée par la répression routière devrait connaître un tournant prochainement. Grâce à la loi de décentralisation 3DS, les collectivités locales vont pouvoir implanter des radars, à l’image de l’État. Ainsi, d’après la Cour des comptes, « il est permis d’anticiper une hausse significative des équipements et donc des recettes des radars dès 2026. Les hypothèses retenues […] sont de + 1 000 radars par an. Cela correspond à un rythme d’installation de l’ordre de + 20 % pour l’année 2026, soit dix fois supérieur à ce que le Gouvernement a engagé dans ces dernières années ». Oser encore prétendre que ce nouveau déploiement se justifie par les perspectives d'amélioration de la sécurité routière relève d'une mauvaise foi révoltante.