Enterrement de la ZFE de Bordeaux : un cocktail de mauvaise foi, d’hypocrisie et de soulagement

La Métropole de Bordeaux a consacré du temps, de l'énergie et de l’argent public pour réfléchir à la mise en place de sa Zone à faibles émissions (ZFE). Trois tables rondes avaient réuni les parties prenantes en 2022, auxquelles notre association avait participé afin d’apporter notre expertise sur le sujet. L’épilogue est stupéfiant : Bordeaux fait finalement marche arrière...

« La pollution due à la voiture n'est pas aussi considérable qu'on le pensait [dans l'agglomération bordelaise] », a affirmé lors de sa conférence de presse de rentrée Alain Anziani, président de Bordeaux Métropole, laquelle réunit notamment Bègles, Pessac, Tarence, Lormont... Dire qu’à la Ligue de Défense des Conducteurs, nous sommes tombés de notre chaise en découvrant ces propos serait un euphémisme. Et pour cause : alors que nous avons assisté à trois réunions de discussion consacrée à la Zone à faibles émissions (ZFE) locale, en 2022, c’était au contraire le caractère urgent de sa mise en place qui prédominait !
Certes, à l’époque, nous n’avions cessé d’alerter nos interlocuteurs sur plusieurs pierres d’achoppement :

-Les conséquences sociales de ce dispositif qui allait mettre à la porte de la métropole des dizaines de milliers de personnes, dont le seul tort aurait été de ne pas avoir les moyens de changer leur voiture contre un véhicule plus récent pour pouvoir y circuler librement ;

-L’impossibilité de tenir le calendrier de cette ZFE qui devait entrer en vigueur dès le 1er janvier 2024 et interdire l'accès aux véhicules classés Crit'Air 4 (diesel immatriculés avant le 31 décembre 2005), Crit’Air 5 (diesel immatriculés avant le 31 décembre 2000) et non-classés (essence et diesel immatriculées avant le 31 décembre 1996), avant un durcissement progressif aux Crit'Air 3 puis 2 ;

-L’inanité des discussions qui n’avançaient pas au fil des réunions (mai, juin, octobre 2022) et l’absence des élus locaux, qui n’avaient vraisemblablement pas pris conscience de l’enjeu de la mise en place de cette future zone de restriction de circulation.

Pourtant, la loi Climat et résilience ne donnait guère de choix à Bordeaux Métropole : cette ZFE devait voir le jour… jusqu’à ce que, en juillet 2023, le gouvernement décide de freiner des quatre fers et restreigne l’instauration de ces zones à cinq métropoles seulement (en 2021, elles étaient 45 à figurer dans le collimateur du ministère de la Transition écologique !)*. Nul doute que la pression insistante d'associations comme la Ligue de Défense des Conducteurs et la publication de rapports critiques de l'Assemblée nationale et du Sénat ne sont pas étrangères à cette décision ! Annoncée avec la plus grande hypocrisie d’ailleurs, mais ceci est un autre problème…

Droit dans ses bottes, Alain Anziani, en cette rentrée beaucoup plus décontractée que prévu, s’est donc fendu d’un autre commentaire tout aussi détendu : « sur la ZFE, rien ne presse, puisqu’il n’y a plus de problème sanitaire à proprement dit ». Ce qui aurait été approprié, c’est de diligenter des études un peu plus approfondies sur la pollution locale, avant de semer la panique parmi les habitants de la métropole concernés…

En résumé, la Métropole de Bordeaux, qui n'a pourtant jamais fait entendre la moindre voix critique à l'égard des ZFE avant le retournement de veste du gouvernement, s'attribue une décision qui n’est pas vraiment la sienne. Le retrait du dispositif se justifie ainsi par une pollution finalement « pas aussi considérable qu’on le pensait », dixit son président Alain Anziani. Beaucoup de bruit pour rien donc, mais cette valse-hésitation aura au moins pour mérite de soulager les dizaines de milliers d’automobilistes de Bordeaux et des environs, propriétaires de véhicules anciens qu’ils n’auraient plus été autorisés à conduire dès le 1er janvier 2024, et qui peuvent enfin souffler.

*Pour rappel, il faut désormais faire le distinguo entre les « territoires ZFE effectifs » et les « territoires ZFE de vigilance ». Ainsi, seules les agglomérations qui dépassent de manière régulière les seuils réglementaires de qualité de l'air demeurent obligées de respecter l'interdiction des voitures Crit'Air 3 au 1er janvier 2025. Ce qui ne concerne donc "plus que" le Grand Paris, Marseille, Lyon, Strasbourg et Rouen.