Alors que Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique, invite les distributeurs "à faire un effort" pour baisser le prix de l'essence et du gazole, littéralement en train de s'envoler, il n'est pas inutile de rappeler que le premier à profiter de cette hausse, c'est l'État lui-même. Car le taux de taxes sur un litre de carburant frise les 60 %, rappelle Alexandra Legendre, porte-parole de la Ligue de Défense des Conducteurs… Qui doit faire un effort, alors ?
Note : cet article a été initialement publié le 15 octobre 2021 sur le site Capital.fr, où la Ligue de Défense des Conducteurs tient une tribune libre bimensuelle.
La date anniversaire du mouvement des Gilets jaunes approche - 300 000 manifestants dans toute la France le 17 novembre 2018 - et le gouvernement est aux cent coups. Comme il y a trois ans, la hausse du prix du carburant est en effet à deux doigts d'enflammer la France… sachant que le litre d'essence ou de gazole est encore plus cher aujourd'hui. Or, dans la mesure où, sur les 45 millions de voitures particulières et de véhicules utilitaires qui constituent le parc automobile en France, les 100 % électriques comptent pour moins de 0,8 %, ça concerne encore pas mal de monde. En fait, cette hausse de prix des carburants fossiles devrait faire le jeu du gouvernement, qui incite par ailleurs très lourdement à l'achat de voitures électriques (dont le “carburant”, l'électricité, voit aussi ses tarifs flamber…). Entre incitation à rouler en électrique et hausse des carburants à freiner, l'État se retrouve une fois encore dans une situation de grand écart… dans laquelle il s'est mis tout seul.
La solution pour faire baisser les prix à la pompe (au 11 octobre, un litre de sans-plomb 95 coûte en moyenne 1,63 € et un litre de gazole 1,54 €), Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique, l'a immédiatement trouvée : aux distributeurs de faire un effort sur leur pourcentage. Sauf que, lui a répondu Michel-Edouard Leclerc, les marges des stations-service de super et hypermarchés n'excèdent pas 1 ou 2 centimes par litre… contre 96 centimes par litre d'essence et 86,5 centimes par litre de diesel, qui tombent directement dans la poche de l'Etat. Soit respectivement 59 % et 56,3 % de taxes ! L'effort ne devrait-il donc pas, en premier lieu (quitte à, pourquoi pas, lui emboîter le pas à son niveau, propose Michel-Edouard Leclerc), venir d'en haut ?
Le hic, c'est que faire baisser les taxes, c'est se priver, chaque jour, de millions d'euros. Je me suis "amusée" à calculer combien l'État perdrait en rabotant sa dîme de 5 centimes par litre sur les deux carburants préférés des Français : en n'encaissant plus "que" 91 centimes par litre d'essence et 81,5 centimes par litre de gazole, en une seule journée ce sont plus de 7 millions d'euros qui manqueraient à l'appel ![1] Soit 211,2 millions d'euros par mois et… 2,5 milliards d'euros sur une année. Impensable, dans un pays dont le taux d'endettement atteint 118 % du PIB.
Et pourtant, la symbolique serait forte. Mais pour le moment, les discours officiels restent vagues. Emmanuel Macron a ainsi déclaré jeudi 14 octobre vouloir accompagner les ménages avec une action à court terme, précisant que "Le gouvernement […] aura dans les prochains jours à compléter sa réponse en fonction de l'évolution pour ne laisser personne dans le désarroi". Le président de la République souhaite aussi mener "une action diplomatique", comprenez inciter les pays producteurs de pétrole à baisser le tarif du baril de brut (lequel représente 31,5 % du prix d'un litre d'essence et 33 % d'un litre de gazole). On en revient toujours à "l'autre", celui qui devrait faire des efforts. Sans remettre en cause les talents de persuasion de notre chef d'État auprès de ces interlocuteurs probablement peu flexibles, pour aller vite, pour faire baisser la grogne, pour tenter de dégoupiller un deuxième mouvement des Gilets jaunes – même si la baisse des taxes sur les carburants ne suffira peut-être pas - , ne vaudrait-il pas mieux qu'il y consente lui-même, tout de suite, de son côté ? "Quoi qu'il en coûte", comme il aime à dire ?
[1] Calcul réalisé sur la base de la consommation annuelle en France d'essence (11,1 millions de m3) et de gazole (40,1 millions de m3) publiée dans le rapport "Faits et Chiffres" de l'Union routière de France (données 2019).