Accidents corporels et matériels, nuisances sonores, augmentation de la consommation et de la pollution : les ralentisseurs, dont l’immense majorité a été construite sans tenir compte des normes, provoquent de nombreux dégâts. Pour les professionnels de la conduite, le constat est aussi sans appel. La Ligue de Défense des Conducteurs a ainsi sondé plus de 500 chauffeurs de bus et autocars en France et près de la moitié d’entre eux déclarent que ces équipements dégradent leur santé au travail.
« Ce ne sont plus des rues, mais des montagnes russes ». « Chaque jour, suivant les lignes, je franchis jusqu’à deux cent quarante dos-d’âne ». « En cinq ans, le nombre de ralentisseurs a doublé dans ma ville ». Ces témoignages, nous les avons recueillis au cours d’un sondage national, dont l’objectif était de mesurer l’impact des ralentisseurs sur la santé des chauffeurs de bus et d’autocars. Lesquels sont confrontés à ces équipements à de multiples occasions lors de leurs journées de travail… au point de voir leur santé se détériorer, comme 46 % des répondants à notre enquête nous l’ont déclaré.
Comment avons-nous procédé ? C’est simple : du 18 février au 23 mars 2021, nous avons fait parvenir une liste de quinze questions (lire en détail ci-dessous) à différents syndicats de chauffeurs de bus et d’autocar, qui l’ont transmis à leurs adhérents. Au total, ils ont été 505 à nous retourner leur formulaire : une large participation spontanée qui démontre indiscutablement le malaise induit par la multiplication des ralentisseurs. Malaise doublé d’étonnement pour 57 % d’entre eux, qui ont découvert que selon le décret n°94-447 de mai 1994[1], l’implantation de ces installations était interdite « sur les voies de desserte de transport public des personnes » !
Il faut dire qu’ils savent de quoi ils parlent, ces chauffeurs qui transportent passagers et écoliers. Parmi eux, ils sont plus de 85 % à circuler plus de 7 heures par jour. Six sur dix parcourent plus de 100 kilomètres quotidiennement… Il n’était donc pas surprenant que 90 % d’entre eux déclarent souffrir physiquement durant leur journée de travail. Mais que près de la moitié d’entre eux associent clairement leurs douleurs aux ralentisseurs, c’est énorme ! Dos, épaules, bras, fessier, aucune partie de leur anatomie n’est épargnée.
32 % des répondants en arrêt de travail à cause des ralentisseurs
L’exercice de leur profession liant ces chauffeurs à un itinéraire préétabli, impossible en effet d’éviter ces obstacles, dont nous rappelons que l’immense majorité, si ce n’est la quasi-totalité, ne respecte pas les normes du décret cité ci-dessus. D’ailleurs, 43 % des hommes et des femmes qui nous ont répondu avouent franchir plus de vingt ralentisseurs par jour… sachant que pour certains, comme notre premier témoignage le montre, ce nombre atteint plusieurs centaines.
Les douleurs causées par les ralentisseurs sont tellement persistantes et insupportables, que près de 32 % de nos répondants ont eu recours à un arrêt maladie. « Plusieurs fois, j’ai dû arrêter le travail pour cause de douleurs dorsales », nous explique l’un d’entre eux. L’un de ses collègues ajoute : « À cause du mal de dos et du tassement de mes disques, je suis en arrêt depuis deux ans. Je fais une grosse rééducation ». Un dernier renchérit : « Les ralentisseurs me créent une douleur aux lombaires. Malheureusement, le fait de passer dessus tout au long de la journée accentue cette douleur. »
Hiérarchie et élus, peu concernés
Ces symptômes ressentis par les chauffeurs professionnels portent un nom : les troubles musculosquelettiques (TMS). Reconnus par l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) comme cause d’arrêt maladie, ils « s'expriment par de la douleur mais aussi par de la raideur, de la maladresse ou une perte de force. Quelle que soit leur localisation, les TMS peuvent devenir irréversibles et entraîner un handicap durable[2] ». Ces troubles sont provoqués par des « travaux exposant habituellement aux vibrations de basses et moyennes fréquences transmises au corps entier ». Malgré ce constat alarmant, le métier de chauffeur de bus et d’autocar n’entre pas toujours pas dans la catégorie des professions à risque[3]. Même si 29 % des répondants à notre enquête ont saisi leur hiérarchie, via les syndicats.
Quid des élus locaux ? Les chauffeurs, si l’on en croit leurs témoignages, se sentent délaissés. « Notre ville est très mal conçue pour les bus et les derniers travaux empirent les choses au lieu de les améliorer », nous explique-t-on à Marseille. Pas mieux à Nantes : « Dans la Métropole, nous subissons sans avoir aucun recours possible ». Encore pire à Bordeaux : « Nous avons envoyé beaucoup de courriers et de mails pour obtenir une entrevue avec la mairie, mais jamais de réponse », déplore Mathieu Obry, secrétaire général de CGT TBM. Malgré les nombreuses sollicitations sur le sujet, on dirait donc que les mairies et communes font la sourde oreille.
À l’épais dossier accusateur que la Ligue de Défense des Conducteurs est en train de constituer avec nos deux autres associations partenaires (Pour une Mobilité sereine et durable et l’Automobile-club des Avocats) contre les ralentisseurs illégaux - dimensions généralement non conformes, danger pour les usagers, dommages et nuisances en tout genre -, s’ajoute ainsi la dégradation de la forme physique des chauffeurs professionnels. Nous sommes en droit d’attendre que le gouvernement, après lecture de notre dossier, comprenne qu’il n’est plus possible de fermer les yeux sur les multiples impacts des ralentisseurs illégaux, et qu’il agisse en conséquence.
Dans la peau d’un chauffeur de busPour constater l’ampleur des secousses et des douleurs potentiellement engendrées, la Ligue de Défense des Conducteurs s’est rendue sur le terrain. Direction la Gironde, le temps d’un aller-retour sur la ligne 24 Bordeaux-Pessac Bougnard. Un trajet qui a duré 2 heures 10. Nous n’avons pas été déçus, comptabilisant 23 ralentisseurs à l’aller et 19 au retour, soit 42 franchissements au total. Pour une journée de 7 heures de travail, un chauffeur roule donc sur pas loin de 150 dos-d’âne au cours de sa tournée complète... Bien évidemment, à vue d’œil, nous avons aussi constaté que nombre d’entre eux étaient plus hauts que les 10 centimètres réglementaires, entre autres écarts par rapport aux normes. Du côté de nos lombaires, le constat était tout aussi édifiant : ces innombrables vibrations et secousses dans tout le corps, en particulier dans le dos, que les chauffeurs décrivent dans notre sondage, nous les avons subies en direct ! |
La Ligue de Défense des Conducteurs remercie Didier Sauvetre (CFDT Semitan), Khalid Oughzif (FO Fédération Nationale Transports et Logistique), Éric Hugon (CFDT Transports Urbains) et Mathieu Obry (CGT TBM) pour avoir transmis notre questionnaire à leurs adhérents, de même que les 505 chauffeurs de bus et d’autocar pour leurs précieux témoignages.
Découvrez ci-dessous les principaux résultats de notre sondage (pour les résultats détaillés, cliquez ici):
[1] Décret n°94-447 du 27 mai 1994 relatif aux caractéristiques et aux conditions de réalisation des ralentisseurs de type dos d’âne ou de type trapézoïdal
[2] INRS, Toubles Musculosquelettiques (TMS). Ce qu’il faut retenir. https://www.inrs.fr/risques/tms-troubles-musculosquelettiques/ce-qu-il-faut-retenir.html
[3] INRS, tableau RG 97. Affections chroniques du rachis lombaire provoquées par des vibrations de basses et moyennes fréquences transmises au corps entier, décret du 15 février 1999.