Ébahis et surpris d'être confrontés aux chaussées à voie centrale banalisée surnommées
« chaucidous », nos sympathisants nous contactent pour en savoir plus sur ces aménagements qui fleurissent sur les routes de France. Si ces derniers sont censés rester exceptionnels, l'obligation d'instaurer des pistes cyclables imposée par la loi LOM entraine leur prolifération aux quatre coins du pays... engendrant souvent stupeur et frayeur, alors qu'ils sont supposés améliorer la cohabitation sur la route des voitures et des vélos.
Le chaucidou, ce mot-valise au nom de Pokémon, né de la contraction de « chaussée pour les circulations douces » n'a rien de mignon. Il désigne une chaussée à voie centrale banalisée, dont le principe est le suivant : plutôt que deux voies bien distinctes, une unique voie centrale est créée pour les automobilistes roulant dans les deux sens. Autour de cette voie centrale, des « rives » de chaque côté, doivent permettre aux vélos et autres usagers d'évoluer « en toute sécurité ».
Si son principe est validé par une modification de l'article R.431-9 du code de la Route (décret n°2015-808 du 2 juillet 2015), en réalité aucune norme, aucun décret ne vient encadrer les conditions de construction d'un chaucidou : largeur et longueur minimum/maximum, description de la chaussée type sur laquelle cette solution s'avère la plus adaptée, évaluation de la densité de circulation…
Jusqu'à présent, cet aménagement faisait peu parler de lui tant il était peu courant (105 en 2019, selon un recensement réalisé par des universitaires). Mais depuis que la loi d'orientation des mobilités, adoptée fin 2019, impose des « itinéraires cyclables pourvus d'aménagements », à l'occasion « des réalisations ou des rénovations des voies urbaines, à l'exception des autoroutes et des voies rapides », c'est une véritable invasion.
Un tour d'horizon de la presse quotidienne régionale nous a permis de constater que des dizaines de projets de chaucidous sont tout juste réalisés ou en passe de l'être, partout en France (dans l'Aisne, l'Aude, les Côtes-d'Armor, les Deux-Sèvres, le Doubs, la Haute-Garonne, l'Indre-et-Loire, le Morbihan, la Somme, l’Yonne…)
Or, le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) n'a de cesse de souligner que « cet aménagement de chaussée à voie centrale banalisée doit rester exceptionnel ». En se réfugiant derrière cet adjectif qui veut tout et rien dire, cet organisme valide le principe du chaucidou sans poser de restriction claire. Une vraie aubaine pour les collectivités locales, car cet aménagement est évidemment beaucoup moins onéreux qu'une vraie piste cyclable. Et pour cause, il apporte beaucoup moins de garanties de sécurité.
On risque donc de voir pulluler ces équipements pouvant se révéler extrêmement dangereux à des endroits mal adaptés, sur des routes trop fréquentées, sans être correctement expliqués ou signalés...
Car si notre association s'interroge sur la pertinence du recours aux chaucidous, c'est aussi et surtout à cause des témoignages que nous recevons sur le sujet : nos sympathisants s'inquiètent de cette fraction de seconde, nécessaire pour comprendre et réagir à la situation à laquelle ils se retrouvent nouvellement confrontés. Ce délai pourrait se révéler extrêmement dangereux, sachant que sur ces chaussées, la vitesse limite peut atteindre 70 km/h et que la visibilité est parfois loin d'être optimale comme le montre certains clichés envoyés par nos sympathisants. Jean-Max Gillet, délégué général de l'association Maintenance des routes de France, confirme notre scepticisme : « pour casser les vitesses, certains sont prêts à tout et à n'importe quoi [...] ces innovations locales ne font qu'accentuer le risque d'accident ». Vouloir se servir des cyclistes pour ralentir la circulation, c'est mettre leur vie en danger.
D'ailleurs, ces derniers sont loin d'être fans des chaucidous. À l'échelle locale, de nombreux collectifs s'inquiètent. Pour l'association sarthoise de promotion du vélo Cyclamaine « non seulement la peinture n'apporte jamais de sécurité aux gens qui se déplacent à vélo, mais dans ce cas le marquage est fait pour être franchi ». À Marsac-sur-l'isle, en Dordogne, le collectif « Marsac bon sens » regrette le fait qu'ait été abandonné un projet de voie verte et de passerelle avec piste cyclable au profit « d'une voie partagée (...], avec tous les dangers que cela comporte ».
Pour finir dans le genre ubuesque, le Cerema a constaté que la distance entre les voitures et les vélos avait tendance à se resserrer après implantation d'un chaucidou... Pour rappel, l'article R.414-4 du code de la route stipule que tout dépassement doit se faire à plus d'un mètre du cycliste en agglomération et à plus d'un mètre et demi hors agglomération, dans des « conditions normales de sécurité ». La presse régionale relate déjà au moins un accident mortel, à Lannion dans les Côtes-d’Armor, où une cycliste a perdu la vie en empruntant un chaucidou, percutée par une fourgonnette.
À la Ligue de Défense des Conducteurs, on estime qu'il est urgent d'adopter des textes réglementaires régissant de manière très stricte le recours aux chaucidous. Car cette manie de mettre la charrue avant les bœufs, en matière de sécurité routière, pourrait ici s'avérer criminelle. Il est aussi primordial de mieux en expliquer le principe aux conducteurs. Aujourd'hui le seul mérite de cet équipement, c'est que pour une fois, les cyclistes et les automobilistes sont d'accord : ils n'en veulent pas !