Le gouvernement l'avait promis : s'il imposait le 80 km/h sur nos routes à compter du 1er juillet 2018, ce n'était que le temps d'une expérimentation de deux ans. L'objectif étant d'observer l'impact de cette mesure sur la sécurité routière… Comme il fallait s'y attendre, alors que ces 24 mois sont parvenus à échéance le 30 juin 2020, absolument rien n'a été démontré. Pire, l'équipe d'Edouard Philippe reste pour le moment dans l'incapacité de fournir les résultats de cette "expérimentation"… Or, non seulement nous exigeons ces résultats, mais mieux, nous exigeons le retour à 90 km/h !
On récolte ce que l'on a semé. C'est en substance ce que l'on aurait pu rétorquer au gouvernement, dont la mesure inepte du 80 km/h, imposée le 1er juillet 2018, a mis le feu aux poudres et déclenché le mouvement des Gilets jaunes au deuxième semestre de la même année. Le vaste désordre social qui en a découlé (paralysie du pays, grève des transports…) a d'emblée ôté toute légitimité à cette expérimentation de deux ans. La crise du coronavirus n'a rien arrangé, la population ayant laissé sa voiture au garage pendant les 55 jours de confinement. La conséquence de ces deux périodes atypiques, c'est l'impossibilité de comparer de manière rigoureuse et scientifique l'avant et l'après 80… Les quelques déclarations débordant d'autosatisfaction qu'ont pu faire, ces derniers mois, Edouard Philippe ou Christophe Castaner, sur les pseudo résultats de la réduction de la vitesse, ne sont étayées par aucune donnée indiscutable (comme l'aurait peut-être été la stricte sélection des tronçons passés à 80 km/h sur toute la France, de façon à circonscrire la comparaison à la réalité du terrain, comme l'avait demandé notre association).
N'empêche, pour respecter ses engagements, le gouvernement aurait dû prendre la parole le 1er juillet 2020, au terme de ces deux ans "d'expérimentation" (qu'il aurait d'ailleurs pu prolonger en amont). Ce rendez-vous manqué n'est sûrement que reporté. Gageons que le gouvernement, qu'il soit remanié ou pas, prendra bientôt la parole sur le sujet, peut-être d'ailleurs en la personne de la toute nouvelle déléguée interministérielle à la sécurité routière, Marie Gautier-Melleray, nommée le 25 juin dernier et qui hérite du lourd dossier du 80 km/h, qui avait beaucoup "occupé" son prédécesseur, Emmanuel Barbe. Gageons aussi que comme par miracle, les résultats seront "très encourageants". Alors que la proposition de réduction de la vitesse sur autoroute, de 130 à 110 km/h, évoquée ces dernières semaines, a aussitôt provoqué une levée de boucliers et a été écartée (momentanément ?) par le Président Macron, difficile d'imaginer que nos édiles reculeront sur le 80. Mais cela ne nous empêche pas, à la Ligue de Défense des Conducteurs, d'exiger ces résultats au plus vite, pour mieux les contrer et continuer à lutter contre cette mesure qui n'a jamais été acceptée par la majorité de la population. Le nombre de départements qui ont repassé tout ou partie de leur réseau routier à 90 km/h, comme la loi LOM le leur permet désormais, est un excellent exemple du clivage que cet abaissement de la vitesse a engendré.
Pourquoi le 80 est inutile
C'est qu'il en faudra, de l'interprétation biaisée et de l'habileté à faire parler les chiffres en sa faveur, pour que le gouvernement puisse parler de résultats positifs. Rappelons qu'alors que ce dernier avait promis "400 vies sauvées par an", en 2019 il y a malheureusement eu 63 blessés et 5 victimes de la route de plus qu'en 2018. Par ailleurs, n'oublions pas que dans certains pays d'Europe (Royaume-Uni, Danemark, Allemagne) où l'on roule plus vite (jusqu'à 100 km/h) sur le réseau secondaire, on observe une mortalité routière inférieure (respectivement 28, 30 et 39 décès par million d'habitants, contre 48 en France). Le constat est le même en Irlande, en Espagne, en Slovénie, en Autriche, en Slovaquie… où là encore, les limitations de vitesse sont plus élevées.
Circuler à 80 km/h, cela signifie aussi rouler à la même vitesse que les camions, multipliant les risques de dépassements dangereux. Cette allure est aussi inférieure à la vitesse naturelle, que l'on adopterait spontanément s'il n'y avait pas de signalisation, en s'adaptant simplement aux circonstances (densité du trafic, météo, état de la route, etc). Des études montrent en effet que la mortalité routière ne baisse que si le rythme auquel nous roulons se rapproche de cette vitesse naturelle*… Nous sommes bien loin de la formule mathématique cent fois évoquée selon laquelle « 1 % de baisse de la vitesse moyenne, c’est 4 % de morts en moins » et qui, menée à son terme, viendrait à prouver qu’à 67,5 km/h, plus personne ne décéderait sur la route.
Les vraies solutions pour améliorer les statistiques d'accidentologie routière existent
Les solutions existent pourtant, très concrètes, pour améliorer les statistiques de sécurité routière. A la Ligue de Défense des Conducteurs, nous avons maintes fois salué le travail des constructeurs, dont les véhicules sont de plus en plus sûrs, mais aussi les secours, dont la rapidité à se rendre sur les lieux des accidents sauve indéniablement de nombreuses vies. Un meilleur entretien du réseau routier (facteur que l'on retrouve dans 26 % des accidents mortels de la route, selon l'ONISR) permettrait aussi d'éviter de nombreux accidents (sur le sujet, n'hésitez pas à consulter notre étude : "Dégradation des routes de France : il est urgent d'agir"). La formation des conducteurs aux bons réflexes (vraiment maîtriser le freinage, savoir éviter les obstacles…) devrait aussi être obligatoire.
Stop à la mauvaise foi
Le gouvernement pourra toujours continuer à arguer que la baisse de la vitesse permet aussi d'améliorer la qualité de l'air. Mais cet impact resterait minime… Sans compter que plus on passe de temps sur la route, plus on pollue !
Faire machine arrière, pour l'Etat, signifierait surtout une baisse significative de la rentabilité de tous les radars qui ont été déployés sur ce réseau à 80. En moyenne en effet, sur ces routes dont la vitesse maximale autorisée a été abaissée de 10 km/h, les radars automatiques ont flashé trois fois plus qu'avant, et jusqu'à huit fois pour les plus "efficaces"** ! Une tendance qui ne manquera pas de s'accélérer avec la généralisation des voitures-radars conduites par des chauffeurs privés, ou celle des radars-tourelles…
Les conducteurs sont excédés par la politique de répression systématique à laquelle ils sont confrontés chaque jour. C'est bien mal traiter ceux qui font vivre le monde automobile, en achetant des voitures et en circulant (lire notre article Taxes et amendes : mais comment fonctionnerait la France sans l'automobile ?). Le 80 km/h est un exemple flagrant du schisme existant entre la vision du gouvernement et la vraie vie. C'est pourquoi, à la Ligue de Défense des Conducteurs, nous exigeons que soient publiés au plus vite les résultats de ces deux ans de "80 km/h" : quels gains véritables en matière de sécurité routière ? Quelles preuves indéniables permettant d'assurer que ce sont ces 10 km/h de moins qui ont fait la différence en cas d'accident ? Combien de PV en plus ?
Nos 1,1 million de sympathisants, quant à eux, exigent que toute la France revienne à 90 km/h, renonce définitivement à la mesure absurde du 80 km/h et que l'Etat mette en œuvre, enfin, une politique de sécurité routière permettant réellement de sauver des vies sur la route.
* Source : Speeding, Coordination, and the 55 MPH Limit – Charles A. Lave – The American Economic Review, vol. 75, n° 5 (déc 1985) pp 1159-1164 - cités dans https://www.contrepoints.org/2019/02/02/336136-officiel-les-radars-routiers-ne-sont-que-des-pompes-a-fric?