Non, les 80 km/h n’ont pas sauvé des vies

Pour entériner l’abaissement de la limitation de la vitesse à 80 km/h, la Sécurité routière s’est appuyée sur un rapport d’évaluation mettant en avant les « 349 vies sauvées » par cette mesure. Une conclusion que conteste Alexandra Legendre, porte-parole de la Ligue de Défense des Conducteurs, qui a passé au crible les statistiques d’accidentologie, département par département.

 Note : cet article a été initialement publié le 14 septembre 2021 sur le site Capital.fr, où la Ligue de Défense des Conducteurs tient une tribune libre bimensuelle.

Toujours d’actualité, le sujet du 80 km/h, même un an après l’adoption définitive de cette mesure. D’abord, depuis, de nombreux départements ont repassé tout ou partie de leur réseau à 90, ou ont décidé de le faire. Ensuite, notre association, la Ligue de Défense des Conducteurs, continue de recueillir les témoignages de sympathisants, qui dénoncent le manque d’informations d’un département à l’autre, les multiples changements de limitations de vitesse, les GPS trompeurs et bien sûr, les PV qui tombent malgré leur vigilance. Nous avons donc « profité » du développement récent, par l’Observatoire national interministériel de la Sécurité routière (ONISR), d’un moteur de recherche simplifié[1], rendant compréhensibles les rébarbatives « data » d’accidentologie de la plateforme ouverte des données publiques françaises, pour rouvrir le dossier.

Département par département, mois par mois, nous avons pointé tous les décès liés à un accident de la route, s’étant déroulé entre le 1er juillet 2017 et le 30 juin 2019. Ces dates correspondent aux douze derniers mois où la règle du 90 km/h s’appliquait encore sur nos routes (1er juillet 2017-30 juin 2018) et aux douze premiers mois de l’instauration du 80 km/h (1er juillet 2018-30 juin 2019). De cette étude, il ressort que dans 49 % des départements de France métropolitaine (47 % avec l’outremer), le nombre de décès dans un accident de voiture a stagné ou augmenté d’une année sur l’autre.

Mais l’objectif de cette démonstration visait principalement à démontrer le caractère biaisé de ce bilan officiel, voire à dénoncer la méthodologie utilisée, à deux niveaux. Premièrement, son terrain d’étude ne se circonscrit pas exclusivement au réseau à 80 km/h, mais à toutes les voies hors agglomérations et hors autoroutes. Il englobe donc aussi les tronçons limités à 70 km/h, 90 km/h, 110 km/h… Car la cartographie précise des routes limitées à 80 n’existe tout bonnement pas. Pire, ces résultats partent du postulat que la mortalité enregistrée sur la route doit être imputée uniquement à la vitesse.

Dans 49 % des départements de France métropolitaine,

le nombre de décès dans un accident de voiture

a stagné ou augmenté d’une année sur l’autre

Pour réfuter cet a priori, nous avons identifié les accidents les plus dramatiques qui se sont déroulés pendant la période étudiée, en croisant les données de l’ONISR avec des articles de la presse quotidienne. Connaître les circonstances de leur déroulement devait nous permettre de les associer - ou pas - à la vitesse… et ainsi nous assurer -ou pas- que l’instauration du 80 km/h pouvait directement être liée à la réduction des accidents, d’une année sur l’autre.

Nous avons retenu ici deux exemples flagrants. C’est durant la période étudiée qu’a eu lieu, en décembre 2017, la dramatique collision entre un car scolaire et un train régional à Millas, dans les Pyrénées-Orientales[2]. Or, les six victimes qui y ont perdu la vie figurent dans les statistiques de la comparaison 90 contre 80 km/h… mais quel rapport entre cet événement et l’abaissement de la vitesse ? Idem pour ce terrible fait divers survenu en octobre 2017, dans l’Oise. Dans sa voiturette sans permis, une mère de famille alcoolisée perd la vie avec ses deux enfants à bord, alors qu’elle roulait de nuit à 35 km/h, avec un phare arrière cassé, sur une route non éclairée, limitée à 110… Le premier conducteur qui l’a heurtée par l’arrière a commis un délit de fuite. Le deuxième, lui, était sous l’emprise du cannabis[3] : comment peut-on comptabiliser ce drame dans le bilan « positif » de la mesure du 80 km/h, sachant que durant nos deux périodes de référence, la mortalité a effectivement reculé sur les routes de ce département ?

La liste des accidents mortels enregistrés au cours de ces vingt-quatre mois avant et après l’instauration du 80 km/h, sans rapport aucun avec l’abaissement de la limitation de vitesse autorisée, est encore longue. Les facteurs d’accident s’additionnent eux aussi : alcool, stupéfiants, somnolence, téléphone au volant… mais c’est uniquement la vitesse que la Sécurité routière retient dans son bilan de la mesure phare du gouvernement d’Édouard Philippe. Un raccourci trompeur et mensonger.

 

[1] https://www.onisr.securite-routiere.gouv.fr/recherche-statistique-des-accidents

[2] Source : https://bit.ly/3p9pnTd

[3] Source : https://www.leparisien.fr/oise-60/au-tribunal-les-plaies-ravivees-du-terrible-accident-de-breuil-le-vert-17-10-2019-8175117.php?ts=1631017424073