Vendredi 3 avril, Laurent Nuñez, secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Intérieur, s’alarme sur RTL, constatant que depuis le confinement, le « délit de grand excès de vitesse augmente de 16 % sur le territoire national ». Repris en boucle par les médias, ce pourcentage veut tout et rien dire… d’autant qu’il y a manifestement méprise sur le mot « délit ».
« Plusieurs gendarmes, policiers, préfets nous ont alertés, le ministre de l’Intérieur et moi-même, sur le fait qu’il y a une très importante baisse de trafic, avec le confinement, mais la baisse des infractions n’est pas du tout proportionnelle. » Interrogé par la rédaction de RTL vendredi 3 avril, Laurent Nuñez, secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Intérieur, lâche un chiffre – un seul, très bien choisi – pour appuyer ses dires. Lequel est depuis repris en boucle sur internet, à la télé, sur les ondes : « Même quand on prend certaines catégories d’infractions, comme le délit de grand excès de vitesse, il augmente de 16 % sur le territoire national".
Délit ou contravention ?
La Ligue de Défense des Conducteurs s’interroge : Laurent Nuñez ne confond-il pas tout d’abord grand excès de vitesse et délit de grand excès de vitesse ? Ce n’est pas du tout la même chose. Selon le bilan de la Sécurité routière 2018 (celui de 2019 n’est pas encore paru), 75 délits de grand excès de vitesse ont alors été constatés. C’est-à-dire 75 automobilistes qui, après avoir été contrôlés une première fois à plus de 50 km/h au-dessus de la limitation autorisée, donc auteurs d’une contravention de 5e classe, l’ont été à nouveau dans les mêmes circonstances, moins de trois ans après. Leur récidive devient alors un délit d’excès de vitesse, très sévèrement puni par la loi (en plus de 6 points qui sautent, jusqu’à 3 750 € d’amende, trois mois de prison, suspension de permis pouvant durer jusqu’à trois ans, confiscation du véhicule, etc). En rapportant ce nombre de 75 récidivistes aux quinze premiers jours du confinement, on parlerait donc ici de moins de 4 personnes contrôlées sur la période, au lieu d’un peu plus de… 3 en 2018. Visiblement, il y a erreur.
Admettons qu’il se soit trompé et que le secrétaire d’Etat parle plutôt des grands excès de vitesse « tout court ». Reprenons alors le bilan 2018 de la sécurité routière : 37 888 automobilistes ont été verbalisés pour cette raison (23 234 par contrôle automatisé, 14 628 par les forces de l’ordre elles-mêmes). Sur un total de 14 366 915 infractions à la vitesse, cela représente une part de 0,26 % (à comparer aux 71,4 % des seuls excès détectés par contrôle automatisé, inférieurs à 20 km/h, pour une vitesse maximale autorisée supérieure à 50 km/h). En projetant cette proportion sur les deux premières semaines de confinement, nous obtenons 1 580 grands excès de vitesse (sur un total de 600 000 infractions). Ajoutons les fameux 16 % de Laurent Nuñez : nous arrivons à 1 830 « contrôlés » sur la période, soit 250 en plus qu’en temps « normal ». Rapportons maintenant ce même calcul sur une seule journée. Là où, en 2018, 113 automobilistes se faisaient contrôler en grand excès de plus de 50 km/h au-dessus de la limite par jour, il y en aurait 18 de plus par jour en ce moment… 18, seulement ! Voilà qui fait beaucoup de bruit pour rien, sans compter que ces grands excès de vitesse sont commis sur des routes désertées, en cette période de confinement.
La Ligue de Défense des Conducteurs prône avant tout une conduite responsable. Il ne s’agit donc pas ici d’encourager qui que ce soit à rouler trop vite, mais de montrer la communication sournoise du gouvernement, qui profite des circonstances actuelles pour continuer à stigmatiser les automobilistes, en les pointant tous du doigt comme autant d’éternels mauvais élèves.