La détection du défaut d’assurance par radar, un pas de plus vers la surveillance généralisée

Annoncée le 2 octobre, la mesure n° 11 du Comité interministériel de la sécurité routière instaure une détection automatique des véhicules non assurés. On s’étonne de la présence d’une telle mesure dans une réunion consacrée à la sécurité routière. En effet, cela ne réduira pas le nombre d’accidents. En revanche, c’est une avancée majeure vers la surveillance généralisée.

Les véhicules sans assurance vont être traqués par les radars automatiques et par les LAPI (lecteurs automatiques de plaques d’immatriculation) : il s’agit d’une caméra sur un véhicule de police, qui permet de lire les plaques d’immatriculation et d’interroger une base de données. En effet, l’État va créer un fichier des véhicules assurés, vraisemblablement en croisant le fichier des cartes grises et les fichiers de clients des compagnies d’assurances. Donc, en dehors de tout comportement dangereux du conducteur, l’administration aura déjà sa liste de suspects : les gens sans assurance. Le gouvernement suit ainsi la logique du FGAO (Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages) qui affirme, bien calé dans son fauteuil : « conduire sans assurance est révélateur de comportements à risque ». Certes, il est primordial d’être couvert par une assurance. Cependant une absence d’assurance ne traduit généralement pas une propension à la délinquance. Il est d’ailleurs significatif que la Ligue des droits de l’homme ait exprimé, au sujet de cette mesure, sa crainte d’une « surveillance vaste et indiscriminée ».

On voit donc s’organiser une traque généralisée de populations qui n'ont pas une conduite dangereuse, avec à la clef : une amende de 3750 euros, une suspension du permis de conduire et la confiscation de leur véhicule. Mais il y a bien pire. Si on est responsable d’un accident sans être assuré, non seulement on abîme des vies, mais on doit aussi indemniser les victimes. Et le prix d’un handicap ou d’un décès revient parfois à payer durant toute sa vie une somme écrasante. Face à cela, le montant d’une cotisation d’assurance est minime. Dès lors, pourquoi tant de gens prennent-ils ce risque ? Et qui sont ces gens qui roulent sans assurance ?

On peut distinguer deux catégories. La première relève de la pauvreté. La circulation sans assurance, avec 104 626 cas sanctionnés en 2014, connaît une hausse de 19,3 % par rapport à 2013, selon l’ONISR (Observatoire national interministériel de la sécurité routière). Certes, il est interdit de rouler sans assurance. Mais pour beaucoup, conduire pour se rendre à son travail est indispensable. Si l’on excepte les individus qui ont pour seul principe de ne pas payer leur dû, force est de constater que beaucoup de conducteurs se retrouvent sans assurance pour des raisons financières, dans un contexte de crise économique. Ne pouvant s’acquitter d’une cotisation d’assurance, ils roulent prudemment pour éviter les accidents et les contrôles. Dès lors, il ne sert à rien d’infliger de lourdes amendes à des gens dont la plupart ne pourront pas les payer. Pour l’électricité, le gaz ou la couverture maladie, l’État a incité à la création d’un tarif social pour les plus pauvres. On s’étonne donc que pour un besoin inévitable, celui de se rendre à son travail grâce à sa voiture, l’État ne réclame pas un tarif social de l’assurance auto : il est sans doute plus commode pour lui de brandir des sanctions financières.

La seconde catégorie regroupe des conducteurs qui ont une assurance, mais plus de permis. Certains ne se sont pas rendu compte qu’ils n’avaient plus de point sur leur permis, à cause de suppressions de points successives. Ils croient donc être en règle. Lors d’un accident, ils auront la surprise de constater qu’ils roulent sans permis et que, en conséquence, leur assurance ne fonctionne pas… Leur comportement n’est donc pas dangereux. Et même ceux qui sont avertis qu’ils ont perdu leur permis et donc leur assurance, ont toujours un besoin vital de leur véhicule pour leur vie quotidienne. En conséquence, ils continuent à rouler. En 2014, 128 676 défauts de permis de conduire ont ainsi été constatés (+ 13,8 % par rapport à 2013). De même, depuis 2007, on a une augmentation de 21 % du nombre de gens qui conduisent malgré la suspension de leur permis. Et la seule réponse du gouvernement est de continuer à les sanctionner par de nouveaux moyens techniques de détection.

Alors, l’État ajoute du mal au mal en faisant perdre leur permis à tant de gens par des suppressions de points, et en les entraînant ainsi à une perte d’assurance qu’il sanctionne ensuite. Tout cela au profit des lobbys de constructeurs de radars et autres caméras perfectionnées. Le gouvernement ferait mieux de cesser de faire inutilement perdre leur permis aux conducteurs, plutôt que de s’engager toujours plus dans la spirale infernale du flicage généralisé.