Plus « vert » que les motorisations thermiques classiques, le véhicule électrique ? Une idée que démystifie Nicolas Meunier, auteur de L’arnaque de la voiture propre. La Ligue de Défense des Conducteurs a rencontré ce journaliste spécialiste de l’automobile, pour qui la transition énergétique, dans ce domaine, ne devrait pas se résumer à cet a priori simpliste.
Difficile de passer à côté de l’injonction permanente d’acheter des voitures électriques. Mais si elles font preuve d’une fiabilité certaine, sont peu onéreuses à l’entretien et plutôt agréables à conduire, celles-ci ne comptent que pour 8 % des ventes de véhicules neufs en France depuis début 2021. Ce, malgré l’important bonus dont elles bénéficient – 7 000 euros jusqu’au 30 juin dernier, 6 000 depuis – et sans compter les subventions octroyées par de nombreux organismes et collectivités.
Pourquoi ? Tout simplement parce que les voitures 100 % électriques suscitent l’inquiétude. Autonomie, valeur à la revente, facilité de recharge, prix d’achat plus élevé… Valent-elles vraiment le « coût », se demandent, entre autres, les sympathisants de notre association ? Selon Nicolas Meunier, auteur de L’arnaque de la voiture propre1, avec qui l’équipe de la Ligue de Défense des Conducteurs a échangé, « le grand public n’est pas prêt à complètement abandonner le moteur thermique. La politique actuelle d’électrification met en lumière le décalage entre l’usage théorique et la réalité des attentes et des besoins ».
Exemple avec les infrastructures de recharge, pour lesquelles les pouvoirs publics accumulent les retards : pour les 100 000 points de charge promis pour la fin 2021 (on n’en compte que 43 700 à mi-juillet 2021), il faudra plutôt attendre 2024, voire 2025. Sur autoroute, le nombre de bornes reste trop peu dense, donc attention à qui envisagerait de parcourir un trajet supérieur à 300 kilomètres. Pire, démontre Nicolas Meunier, sur ce même réseau, les propriétaires d’électriques risquent d’avoir de grosses surprises, la recharge de watts pouvant parfois revenir plus cher qu’un plein d’essence.
Des véhicules pas si verts
Mais surtout, dans son livre, Nicolas Meunier évalue l’impact global réel des voitures électriques sur l’environnement, de la conception à la destruction. La fabrication d’un véhicule électrique demande ainsi bien plus d’énergie qu’un véhicule classique. En particulier celle de la batterie, nécessitant l’extraction des métaux rares comme le cobalt, le lithium ou le nickel, sans oublier la production des cellules. En Chine, énorme consommatrice d’énergies fossiles et de charbon, la construction d’une voiture électrique génère ainsi plus de 26 tonnes de CO2 ! Un chiffre qui retombe à 17 tonnes en Europe… pour un véhicule thermique. Le journaliste calcule que pour « rattraper » ce retard et inverser la courbe, une voiture électrique doit parcourir un nombre conséquent de kilomètres, en fonction du mix énergétique du pays dans lequel elle roule : 50 000 km si l’électricité provient de sources renouvelables, 77 000 km si le mix correspond à la moyenne européenne, et jusqu’à 110 000 km pour une électricité correspondant au mix mondial, nettement moins vertueux que le nôtre.
Une obsolescence… programmée par l’État
A ce bilan écologique peu verdoyant, Nicolas Meunier ajoute l’obsolescence programmée, sujet rarement évoqué pour les véhicules électriques. La rapidité de l’évolution technologique, la multitude de nouveaux modèles, de moins en moins chers et de plus en plus performants, on en effet vite fait de donner de gros coups de vieux à leurs prédécesseurs. « Acheter une voiture électrique neuve, c’est prendre le risque de la voir devenir très rapidement obsolète et s’exposer à une forte dépréciation à la revente, avertit Nicolas Meunier. C’est comme acheter un magnétoscope juste avant l’arrivée des DVD ». Pour se rassurer, les amateurs d’électriques s’orientent donc vers le leasing plutôt que l’achat, lequel incite à changer plus souvent de voiture… un autre non-sens écologique.
Pour autant, l’État continue à encourager l’achat d’électriques. Tant pis pour les effets pervers déjà cités, auxquels s’ajoute l’explosion de la demande de recyclage (+ 86 % de déchets enfouis entre 2016 et 2018). Les décideurs semblent donc toujours avoir une vision très parcellaire du problème, puisque pour eux l’impact écologique d’un véhicule se limite à la résorption des émissions de gaz d’échappement.
Imposer la voiture électrique à marche forcée, sans véritable transition et alors que les infrastructures et les technologies ne sont pas encore parfaitement au point, engendre des situations contre-productives, génératrices de pollution et d’injustice sociale. Dans L’arnaque de la voiture propre, Nicolas Meunier dénonce le positionnement des politiciens, prompts à privilégier une solution simpliste et unique pour résoudre une problématique complexe. Une analyse que nous partageons totalement, à la Ligue de Défense des Conducteurs.
1 Nicolas Meunier, L'arnaque de la voiture propre, Editions Hugo Doc, 144 pages, 9,95€
Pour aller plus loin
3 questions à Nicolas Meunier
Ligue de Défense des Conducteurs : Que vous inspire la décision de la Commission européenne, cet été, qui entérine la fin de la production des véhicules thermiques pour 2035 ?
Nicolas Meunier : C’est un pari sur l’avenir. Où en sera la technologie de la voiture électrique en 2035 ? Nul ne le sait vraiment, mais il y a de fortes chances pour que ces modèles soient alors quasiment aussi polyvalents que les thermiques de 2021… La vraie question, c’est à quel prix ? La voiture la plus vendue aux particuliers aujourd’hui, la Dacia Sandero, coûte environ 12 000 euros toute équipée. Le vrai défi sera d’avoir ce type de véhicules en 100 % électrique, avec la même polyvalence, au même prix, et là je ne suis pas sûr qu’en 2035 on y arrivera.
Une nouvelle législation européenne à l’étude pourrait forcer les constructeurs à respecter un plafond d’empreinte carbone maximum pour les batteries de leurs véhicules électriques, sous peine de subir une interdiction de mise sur le marché. Cela vous semble-t-il judicieux ?
Je ne vois même pas comment cela peut être mis en place. Plus un produit est complexe, et les batteries le sont, plus il est compliqué d’avoir une idée de la véritable empreinte carbone. C’est intéressant sur le papier mais pas applicable, au regard du nombre de fournisseurs qui interviennent dans la construction d’une batterie. Il y a des minerais qui viennent de partout. Je ne suis même pas sûr que le fabricant de la cellule, qui est l’élément unitaire de la batterie, sache exactement d’où viennent chacun de ces minerais. Donc de là à mettre en place un tel système, ça m’a tout l’air d’être une usine à gaz.
Une étude de l’International Council on Clean Transportation, parue en juillet 2021, affirme que le bilan sur l’ensemble du cycle de vie des électriques est meilleur que celui d’une voiture thermique, même en Chine ou en Inde. Cela vous semble-t-il plausible, vu le mix énergétique encore très carboné de nombreux pays ?
Pas du tout ! Il y a dans ce rapport deux erreurs fondamentales, ou des biais, volontaires d’ailleurs, orientant la conclusion. La première, c’est de faire des hypothèses sur une durée de vie prédéterminée des voitures, alors qu’il n’y a aujourd’hui absolument aucune statistique sur ce sujet. Cela peut varier de manière extrêmement importante d’un véhicule à l’autre. Par exemple, on a du mal à imaginer qu’une Smart qui ne roulerait qu’en ville atteigne plus de 100 000 kilomètres. La deuxième erreur de cette étude, c’est qu’on y fait des prédictions sur le futur mix énergétique des pays étudiés. On y estime ainsi l’impact écologique d’un véhicule au cours de son cycle de vie, en faisant des hypothèses sur l’évolution des sources d’énergie au sein des pays. En procédant ainsi, cette organisation a effectivement obtenu un bilan énergétique plus avantageux pour la voiture électrique, même en Chine, alors qu’on sait pertinemment que la quasi-totalité de l’électricité y est produite dans des centrales à charbon. Là-bas, aujourd’hui, très clairement, en termes de bilan CO2, il vaut mieux rouler en véhicule thermique.