D’un respectable projet de société – améliorer la qualité de l’air –, nos gouvernants ont fait un abominable rouleau compresseur facteur de frustration, d’incompréhension et de rejet. Les Zones à faibles émissions sont mal nées et en l’état, elles vont révolter la population, prévient Alexandra Legendre, porte-parole de la Ligue de Défense des Conducteurs.
Note : cet article a été initialement publié le 28 octobre 2022 sur le site Capital.fr, où la Ligue de Défense des Conducteurs tient une tribune libre bimensuelle.
Connaissez-vous "Le Cauchemar", la plus célèbre toile du peintre suisse Johann Füssli auquel le musée Jacquemart-André de Paris consacre une exposition, cet automne ? Cette allégorie montre une femme au sommeil agité, torturée par ses visions nocturnes. Non, vous n’êtes pas dans la chronique culture, ici, on va bien parler auto. Simplement, c’est cette image qui m’est venue alors que je me demandais à quoi devaient ressembler les nuits de nos élus ces temps-ci, alors que la mise en place des Zones à faibles émissions (ZFE) trouve enfin un peu d’écho dans la presse, suite au premier comité ministériel sur le sujet qui s’est déroulé le 25 octobre et que les Français, éberlués, sont en train de comprendre ce qui leur pend au nez. C’est qu’ils doivent en connaître des troubles nocturnes, les membres du gouvernement, parlementaires et édiles locaux, alors que la complexité du sujet, le manque de préparation et le coupable déficit d’information auprès de la population éclatent au grand jour. Vous me direz qu’il n’y probablement pas que ça qui les réveille en hurlant au milieu de la nuit, mais les ZFE, ça reste du lourd.
Résumé pour les étourdis qui n’ont pas allumé leur radio ou leur télé depuis le début de la semaine : oui, l’instauration des ZFE, à l’horizon 2025, va bel et bien bannir des grandes métropoles 40 % du parc automobile roulant. Rien de neuf sous le soleil pour ceux qui, comme la Ligue de Défense des Conducteurs, ont déclenché les warnings avant même l’adoption de cette mesure par la loi d’orientation des mobilités de 2019. Ainsi, nos 1 million de sympathisants nous font remonter, depuis belle lurette, leurs craintes concernant le risque prononcé d’exclusion sociale pour les budgets les plus serrés dans l’incapacité de s’acheter une voiture récente et la naissance d’un insupportable délit de pauvreté… La France à deux vitesses et l’écologie punitive sont aussi des termes qui reviennent en boucle. C’était par ailleurs la conclusion de notre étude "ZFE : la grande cacophonie ", publiée l’an dernier.
Pour l’immense majorité de la population, le sujet reste cependant inédit. D’autant que les premières ZFE, imposées par la loi d’Orientation des mobilités fin 2019, pouvaient encore donner la fausse illusion d’un problème réservé aux urbains. Mais depuis que la loi Climat et résilience d’août 2021 a ajouté une grosse trentaine de métropoles de plus de 150 000 habitants à la liste, soyez sûr qu’à un moment ou à un autre, vous ou l’un de vos proches serez concerné, quel que soit votre lieu de résidence. Votre voiture date d’avant 2006 (essence) ou d’avant 2011 (diesel), affichant ainsi une vignette Crit’Air 3, 4, 5 ou NC (pour non classé) sur son pare-brise ? Adieu Saint-Nazaire, Limoges, Valenciennes, Nîmes, Mulhouse… : vous n’y serez bientôt plus les bienvenus.
Des dérogations pour rouler dans les zones à faibles émissions de Lyon ou Montpellier
Pour le moment, les premières étapes de mise en place des ZFE passent plutôt inaperçues. Pour une raison bien simple : hormis quelques PV à la volée, le fait de continuer à circuler à bord de véhicules d’ores et déjà "prohibés" n’est quasiment pas sanctionné ! Entre vidéoverbalisation et extension des fonctions des véhicules qui contrôlent le stationnement payant, le cœur balance encore, apparemment. Le croisement des bases de données pour exclure tous ceux qui bénéficient de dérogations, lesquelles ne sont d’ailleurs pas arrêtées et pourraient bien différer d’une ZFE à l’autre, complique la donne. Gageons toutefois que les erreurs se multiplieront, tout comme les contestations… Sauf que 68 € (135 € pour les poids lourds) pour avoir circulé, souvent sans le savoir, dans une ZFE n’acceptant plus tel ou tel modèle, ça va être compliqué à faire avaler. Lyon pense avoir trouvé la martingale : 52 fois dans l’année (mais uniquement en 2023), automobilistes, motards et chauffeurs d’utilitaires ou poids-lourds "anciens" pourront bénéficier d’une autorisation, à condition de déclarer leurs déplacements en amont. Il n’y a que moi que ça choque ? A Montpellier, on parle aussi d’une dérogation pour les "petits rouleurs" parcourant moins de 8 000 kilomètres par an. Oui, mais ces 8 000 kilomètres, si on les fait principalement hors ZFE, est-ce que ça compte ? Allez savoir.
Nous aurons sûrement l’occasion de reparler de ce bazar à venir. Sachez juste que la perspective d’une indignation généralisée qui pourrait débouler sur l’occupation des ronds-points façon 2018-2019 est une possibilité qu’envisagent très sérieusement nos élus. Notre association a pu le constater lors de son audition par les députés de la mission flash sur les mesures d’accompagnement de la création des ZFE en septembre dernier, à l’Assemblée nationale, au résultat par ailleurs plutôt constructif (lire ici). Tout comme lors d’un rendez-vous au ministère de l’Intérieur, plus récemment, alors que nos sujets de discussion étaient censés tourner autour de la répression automatisée : la dernière partie de notre entretien, à la demande du chargé de mission qui nous recevait, a été consacrée aux ZFE.
Si Füssli, décidément, ça ne vous parle pas, je vous invite à vous replier vers le musée d’Orsay et l’exposition actuellement consacrée à Edvard Munch, cette fois. Même si son œuvre la plus connue, "Le Cri", n’est représentée que par une lithographie, le premier original étant resté à Oslo (lui évitant peut-être ainsi de se faire encoller ou recouvrir de purée ?), sa représentation illustrera peut-être encore mieux l’état d’esprit de nos dirigeants concernant les ZFE. Et sûrement aussi, bientôt, le nôtre.