Alors que les recettes issues des PV routiers participeront pour plus de 2 milliards au budget de l’État en 2025, les besoins de sécurité routière capteraient, officiellement, 63 % de cette somme… contre les 100 % prévus à l’origine. Sauf que nos calculs, qui reposent sur les rares données disponibles (l’opacité la plus totale accompagne ces dépenses), révèlent que ce pourcentage déjà bien rogné est en réalité infiniment plus faible. Illustration en chiffres.
Souvenez-vous, c’était en 2003. Le ministre de l’Intérieur de Jacques Chirac l’avait maintes fois répété à l’occasion de l’inauguration du premier radar automatique, dans l’Essonne : « 100 % des recettes des radars iront à la sécurité routière ! » Que reste-t-il de cette assertion ? Peu de choses en réalité, tant les gouvernements successifs ont perverti le système, au point d’en dégoûter parlementaires et magistrats de la Cour des comptes. Ces derniers l’ont répété une énième fois en avril 2024 : il faut « supprimer le compte d’affectation spéciale [CAS] et présenter dans une annexe budgétaire unique l’ensemble des dépenses de sécurité routière et les amendes issues de la circulation », car tout est mélangé, fléché, ponctionné… L’illisibilité du budget de la sécurité routière est totale et savamment organisée par les services du ministère de l’Intérieur.
Les amendes routières rapportent désormais plus de 2 milliards d’euros
Voici toutefois ce qu’il est possible d’apprendre en étudiant de près la littérature ministérielle. Les « amendes forfaitaires radars non majorées et les amendes forfaitaires hors radars et amendes forfaitaires majorées »apporteront 2 193 000 000 € au budget 2025. Un chiffre encore jamais vu, en hausse de 239 millions par rapport à l’année précédente.
L’infographie, que vous retrouverez à la fin de l'article, reprend fidèlement le fléchage de l’affectation des recettes, tel qu’il apparaît dans le fameux CAS cité ci-dessus. Mais dans cet article, nous allons nous attacher à décortiquer ces différents budgets un peu plus minutieusement.
En effet, dans ces plus de 2 milliards d’euros, l’État pioche une première fois : 45 millions sont affectés d’office au budget général, 26 millions à un fonds destiné à la santé, 726 millions au désendettement de la nation et, fait nouveau, 13 millions à l’ANTAI, soit à l’Agence de traitement des infractions (voir plus loin). Ce sont 245 millions d’euros qui sont directement fléchés à destination de l’Agence de financement des infrastructures de transport (AFITF). Ne reste donc « plus que » 1,383 milliard d’euros, soit 63 % de la somme initiale, ce qui fait dire au ministère de l’Intérieur dans les documents budgétaires que « plus de 60 % des recettes affectées au compte d’affectation spéciale ont vocation à contribuer à des dépenses de sécurité routière ».
Un budget sécurité routière et entretien des routes qui fond chaque année
Premier constat : la part allouée au désendettement a progressé de 19,6 % en quatre ans, soit 119 millions de plus en 2025 par rapport à 2021.
À l’image du désendettement, le budget destiné à L’ANTAI grimpe aussi en 2025 : 116 millions d’euros en 2024, et 137 millions cumulés l’an prochain, soit + 18,1 % sur un an, alors que les effectifs ne croissent que d’un salarié à temps plein. Deux raisons principales à ce joli bond : d’abord, l’Agence se prépare à l’arrivée du flux de PV des radars « collectivités », autorisée par la loi 3DS (lire les détails ici) ! Et hop, 13 millions d’euros (cités plus haut) en plus dans la poche. Par ailleurs, l’ANTAI, conçue à l’origine pour traiter les infractions routières, sert désormais à tout et n’importe quoi : PV pour occupation de halls d’immeubles, amendes forfaitaires pour usage de stupéfiants, pour les vols à l’étalage… L’Agence a donc fort à faire et se voit obligée d’augmenter son budget en prélevant sur les amendes issues de la répression routière.
Par ailleurs, seule une part minoritaire des 245 millions d’euros confiés à l’AFITF va véritablement aux routes (les investissements comprenant aussi, par exemple, les voies de chemin de fer).
Financement des bus et des zones à trafic limité
Une belle partie des amendes routières est en outre redistribuée aux collectivités locales : 777 millions d’euros en 2025 (+ 21 % en quatre ans), pour des dépenses qui, selon la logique du Gouvernement, sont 100 % consacrées à la sécurité routière. La simple lecture de l’article de loi qui régit cela laisse pourtant présager une autre réalité : « Les sommes allouées (…) sont utilisées au financement des opérations suivantes : 1) Pour les transports en commun » suivi de 3 alinéas, « 2) Pour la circulation routière », mais il faut atteindre l’alinéa « f » pour se rendre compte que les amendes peuvent servir à « des travaux commandés par les exigences de sécurité routière ». D’ailleurs, l’alinéa « g » nous apprend que les amendes servent aussi à des « études et mise en œuvre de zones à circulation restreinte » tandis que l’alinéa suivant permet la « réalisation, aménagement, rénovation et sécurisation d’itinéraires cyclables ou piétons ». La loi le dit noir sur blanc : les budgets alloués aux collectivités locales sont d’abord destinés aux transports en commun !
Le rapport d’exécution budgétaire 2023 du programme 754, soit celui qui gère les fonds alloués aux collectivités, confirme cet état de fait. En 2021, pour ce qui concerne les « communes et groupements de moins de 10 000 habitants », « 56 % des opérations correspondent à des travaux divers commandés par les exigences de sécurité routière ». Et que sont devenus les 44 % de financement restants ? Quasi impossibles à « tracer ».
Conclusion : les « 63 % des recettes affectées au compte d’affectation spéciale » qui tomberaient dans l’escarcelle de la sécurité routière et des routes sont très, très largement surestimés. Au contraire, c’est une petite part des 2 milliards d’euros qui leur est consacré. On est bien loin de l’esprit initial et surtout, c’est la preuve que derrière cette répression démentielle dont les conducteurs font l’objet, se cache un objectif moins glorieux : faire tomber un maximum d’argent dans les caisses publiques.