Pour 2022, le Projet de loi de finances prévoit une belle enveloppe pour renforcer et entretenir son parc de radars. Depuis bientôt vingt ans, ces machines à flashs se sont révélées de précieux auxiliaires de la répression routière, sous couvert de sécurité, routière elle aussi. Mais cette focalisation sur la vitesse a largement atteint ses limites, estime Alexandra Legendre, porte-parole de la Ligue de Défense des Conducteurs.
Note : cet article a été initialement publié le 3 novembre 2021 sur le site Capital.fr, où la Ligue de Défense des Conducteurs tient une tribune libre bimensuelle.
Mille radars tourelles, 800 radars fixes, 700 radars discriminants, 500 radars mobiles, 500 radars feux rouges, 400 voitures-radars, 400 radars autonomes, 100 radars urbains et 50 radars de passage à niveau : l’impressionnant arsenal que l’État promet de déployer sur nos routes en 2022 est ainsi détaillé dans le Projet de loi de finances, avec un budget frôlant les 192 millions d’euros pour entretenir les dispositifs déjà opérationnels et acquérir de nouveaux équipements.
Le programme des réjouissances n’est pas terminé : d’abord parce que l’État vise, à terme, un parc de 4 700 radars, mais aussi parce que le projet de loi 3 DS (pour différenciation, décentralisation, déconcentration et simplification), qui sera voté courant décembre, prévoit la possibilité pour les collectivités locales (communes, métropoles et départements) d’en installer d’autres là où bon leur semble.
Bref, vous l’aurez compris, la chasse automatisée au kilomètre-heure en trop, ouverte depuis fin 2003 avec les premiers radars (“sans gendarme”) au bord des routes et qui a depuis rapporté plus de 10 milliards d’euros (dont « seulement » 553 millions en 2020, et encore sans compter les amendes majorées, qui ont ajouté 151 millions à la cagnotte), est loin d’être terminée. Les représentants de la Sécurité routière jouent sur du velours, puisque depuis vingt ans, à force d’associer systématiquement la baisse de la mortalité routière à l’efficacité de ces machines à flasher, les contradicteurs se font de plus en plus rares. Seuls cailloux dans leurs souliers, les associations telles que la Ligue de Défense des Conducteurs, qui compte tout de même plus de 1 million de sympathisants. De notre côté, nous n’avons pas dit notre dernier mot. Tout d’abord, rappelons que depuis le triste record de mortalité de 1972 (plus de 18 000 morts sur les routes de France), les statistiques ont suivi une tendance à la baisse régulière… avant et après 2003. Seule la mauvaise foi la plus ancrée permet d’affirmer sans nuance que ces progrès et ces vies sauvées ne sont liés qu’à la prolifération des radars (surtout quand on sait que 96 % des PV concernent des infractions inférieures à 20 km/h au-delà de la limitation de vitesse). Cela revient à nier, parallèlement, les progrès des véhicules en sécurité passive et active, nier l’exceptionnelle rapidité d’intervention des secours sur les lieux des accidents, nier le fait que les routes où l’on roule le plus vite (l’autoroute) sont aussi les plus sûres, ou encore nier la qualité de l’infrastructure routière… laquelle n’est malheureusement plus ce qu’elle était, mais ceci est un autre sujet.
La Cour des comptes elle-même a pointé du doigt, à plusieurs reprises, les limites de l’efficacité de la stratégie du tout-radar, laquelle vise davantage notre portefeuille que notre sécurité. Son dernier rapport sur le sujet, publié début juillet 2021, souligne ainsi la nécessité de lever le pied sur la répression. Les magistrats incitent entre autres l’État à appliquer le « système sûr » associant le triptyque « comportement, véhicule, infrastructure », qui s’assure qu’en cas de défaillance d’un de ces trois éléments, les deux autres soient en mesure de compenser et de limiter les dégâts. Un discours raisonnable que nous sommes heureux d’entendre… mais côté gouvernement, on fait la sourde oreille : d’où les 192 millions d’euros du Projet de loi de finances 2022. Il faut dire que le gouvernement table sur une juteuse reprise du « bizness », après les dernières années noires : à la crise des Gilets jaunes, en 2018-2019 durant laquelle jusqu’à 60 % des radars ont été mis hors d’usage, ont succédé les confinements de 2020, qui n’ont pas favorisé les sorties motorisées. La preuve de son optimisme, on la trouve une nouvelle fois dans le Projet de loi de finances : on y lit qu’en 2023, l’État prévoit d’envoyer 13 millions de lettres de retrait de points, contre 8,6 millions en 2019, dernière année de circulation « normale » depuis la crise sanitaire. C’est un bond de 51 % ! Or, qui dit envoi de lettres de retrait de points, dit contraventions… auxquelles les conducteurs les plus vertueux ont de plus en plus de mal à échapper, entre les changements de vitesse incessants sur le réseau routier, le 30 km/h qui se généralise dans de nombreuses villes de France et les centaines de voitures-radars privatisées qui s’insèrent incognito dans la circulation pour piéger les étourdis. La répression routière focalisée sur la vitesse a de beaux jours devant elle… et si vous trouvez que j’exagère, je vous invite à réfléchir au nombre de fois où vous êtes passés devant un radar ces dernières années et de le comparer au nombre de fois où vous avez soufflé dans un éthylotest pour contrôler votre alcoolémie (sachant au passage qu’un accident mortel sur trois en France est lié à l’alcool). Vous en déduirez aisément les priorités du gouvernement.