En ce début d’année, trois des onze Zones à faibles émissions ayant déjà mis en place des mesures de restriction de circulation ont durci leurs règles. L’occasion pour notre association de faire un point sur le nombre de véhicules concernés et sur les dérogations dont une toute petite partie des conducteurs pourront bénéficier… Pour les autres, on s’oriente comme prévu vers un passage dans le broyeur de la machine administrative. Une scandaleuse négation de notre liberté de circulation.
À Toulouse, ce sont près de 48 000 voitures particulières à vignette Crit’Air 4, 5 et non classées qui viennent rejoindre les utilitaires et poids lourds déjà bannis, en ce 1er janvier 2023. À Reims non plus, on ne veut désormais plus des Crit’Air 4, quelle que soit la catégorie de véhicules. Soit près de 14 000 conducteurs privés de volant... À Nice, ils sont presque 16 000 (voitures et utilitaires Crit’Air 5 et poids-lourds Crit’Air 4 et 5). Selon nos calculs, réactualisés tous les trimestres, près de 610 000 n’ont désormais plus droit de « cité », sans mauvais jeu de mots.
Si les Zones à faibles émissions (ZFE) vous sont encore peu familières, nous vous invitons à découvrir notre dernier article « bilan », qui date de septembre 2022 et contient de nombreux liens vers toutes les explications et tous les éclaircissements dont vous aurez besoin pour saisir l’enjeu du sujet.
Cette mise à jour de notre carte des ZFE nous offre l’occasion de nous pencher sur les dérogations, qui ajoutent plus de confusion à une mesure à laquelle à peine 40 % des Français comprennent quelque chose… et encore.
Aux dix-neuf dérogations nationales (véhicules de police, de gendarmerie, de pompiers, ambulances, voitures portant la carte « mobilité inclusion » …) autorisant la circulation des véhicules dont la vignette Crit’Air ne répond pas aux exigences des Zones à faibles émissions (ZFE), s’ajoutent donc désormais de longues listes d’exceptions locales.
Le problème de ces multiples dérogations, c’est qu’elles concernent principalement les professionnels et leurs activités économiques, protégés par les pouvoirs publics locaux. Tant mieux pour eux, mais on voit bien que les particuliers, eux, n‘ont pas pesé lourd dans les arbitrages. Seules quelques dérogations les concernent et encore, pas dans toutes les métropoles. La plupart se contentent en effet de tolérer les voitures dites « de collection » (à ce jour, la Fédération française des véhicules d’époque n’a pu décrocher une dérogation nationale). Plus anecdotique, « justifier de l’achat de véhicules de remplacement avec un délai de livraison important » permettra aussi de se voir octroyer un sursis, tout comme les véhicules « dont le propriétaire est convoqué par un service de l’État ». Sachant que dans tous les cas, il faudra présenter un justificatif.
Certaines ZFE proposent également des « tickets d’entrée », en nombre limité.
« Pass 12 » à Grenoble, « Pass 24 » à Strasbourg et Lyon ou encore « Pass 52 » à Toulouse, ces dérogations à la demande contraignant les propriétaires de voitures indésirables de déclarer en amont leur besoin de circuler (mais pas plus de 12, 24 ou 52 fois par an, c’est selon) dans leurs enceintes. Une caricature de « service à la carte », qui ne répond évidemment pas à la double contrainte que connaissent des millions de Français : ne pas avoir les moyens de changer de véhicule malgré les aides et devoir rouler dans une ZFE très régulièrement.
Trop pauvres pour changer de voiture ? Tant pis pour vous !
Pour la Ligue de Défense des Conducteurs, une seule triste option demeure pour continuer à circuler librement : changer de voiture pour un modèle plus récent... Sauf que tout le monde n’a pas le budget pour faire ça. Même avec 12 000 € de subventions, qui est grosso modo l’aide la plus importante qu’on puisse obtenir pour acheter une voiture électrique – que vous n’obtenez qu’avec des critères de revenus extrêmement bas –, il faudra débourser 8 800 € pour s’offrir une Dacia Spring, le modèle le moins cher du marché. Ce qui reste un effort inenvisageable à fournir pour de nombreux conducteurs ! Quant au nouveau prêt à taux zéro, assujetti lui aussi au même revenu fiscal de référence (14 000 €), avec un emprunt limité à 30 000 € sur 7 ans, il implique des remboursements mensuels de plus de 350 €… soit près d’un tiers du revenu mensuel. Une situation invivable…
Notre association a identifié plusieurs situations problématiques auxquelles nous n’avons pas trouvé de réponse dans les dérogations locales des ZFE (sauf exception). Cette liste, composée de témoignages de nos sympathisants, n’est évidemment pas exhaustive.
- J’habite la ZFE de l’Eurométropole de Strasbourg, ma voiture est garée dans la rue et je ne m’en sers que très exceptionnellement (je peux donc bénéficier du « Pass 24 »). L’Agence locale du climat stipulant que les véhicules stationnés peuvent « être sanctionnés s’ils ne disposent pas de la bonne vignette Crit’Air », cela signifie-t-il que je prendrai des PV quand bien même je ne circule pas ?
- Je n’habite pas dans une commune située dans la ZFE la plus proche de chez moi, mais je m’y rends régulièrement pour des raisons familiales, culturelles, médicales (à noter que la métropole de Reims a songé à ce dernier cas, les personnes « souffrant d’une affection de longue durée » bénéficiant d’une dérogation). Les « Pass » 12, 24 ou 52 ne me suffisent donc pas. Vais-je devoir changer de véhicule uniquement parce qu’il est trop vieux, alors qu’il est parfaitement entretenu ? N’est-ce pas un non-sens écologique ?
- Je suis un indépendant, mon activité n’est pas basée en ZFE mais nombre de mes clients y sont situés. Je ne peux pas me permettre d’acheter un véhicule neuf, mais renoncer à me rendre dans la ZFE pour y rencontrer mes clients me ferait perdre un chiffre d’affaires considérable, qui pourrait mettre en péril mon entreprise. Qu’est-ce que proposent les ZFE pour les personnes dans ma situation ?
- J’ai près de 90 ans, je possède un véhicule diesel Crit’Air 3 qui roule moins de 2 000 kilomètres par an dont j’ai absolument besoin pour vaquer à mes occupations dans la ZFE. À mon âge, je ne vais évidemment pas racheter un véhicule ni monter sur un vélo. Les personnes âgées qui ne peuvent se déplacer en transports, à vélo ou à pied, vont-elles avoir droit à une dérogation ?
- Je suis un étudiant avec peu de moyens qui habite à l’extérieur de la ZFE. Pour me rendre en cours dans la métropole, j’utilise ma vieille voiture, car je n’ai aucune alternative viable en transports en commun. Les étudiants en situation de précarité ne devraient-ils pas bénéficier d’une dérogation ?
N’étant pas dupe sur les difficultés de l’administration à traiter les cas qui ne rentrent pas dans les cases, notre association sera particulièrement attentive aux PV qui ne manqueront pas de tomber par erreur. Car ne nous leurrons pas, il y en aura. Étant la porte-parole des automobilistes et des motards qui se sentent oubliés, spoliés et qui se tournent vers nous pour les aider, la Ligue de Défense des Conducteurs alerte les métropoles pour exiger que ces cas particuliers soient pris en compte. La bonne nouvelle, c’est que les ZFE sont encore incapables de verbaliser de manière automatisée, en tout cas jusqu’au deuxième semestre 2024. C’est lorsqu’arrivera cette échéance, de toute façon, que les ZFE seront jugées sur pied. La réponse sociale à cette mesure, qui privera de nombreux Français de leur liberté de mobilité, effraie d’ailleurs déjà le gouvernement. À raison.