L'irrespirable air du temps

Xavier Horent est délégué général du Conseil National des Professions de l’Automobile (CNPA), un organisme qui regroupe 28 métiers de l’automobile et de la mobilité, 140 0000 entreprises et 500 000 actifs. Sa formidable chronique, publiée sur LinkedIn et reproduite intégralement ci-dessous (avec l’autorisation du CNPA), est un plaidoyer contre la croisade anti-voiture, qui affaiblit notre industrie et déconcerte les Français. Passionnant et instructif.

 

« Nous n’en avons pas encore totalement fini avec le deuxième confinement que, déjà, la prolongation des attestations de déplacements est actée. Elles sont collées sur nos pare-brise, ce sont les vignettes « crit’air ». Le renforcement de ce dispositif s’effectue - une fois de plus - sans concertation ni étude d’impact préalable.

Il s’agit pourtant d’une nouvelle mesure privative de liberté dont le principe et les conséquences auraient mérité un débat approfondi, au moins au Parlement. Prenant appui sur des contre-vérités et les caricatures colportées par tous les anti-voitures, ce confinement d’un nouveau type ne manquera pas d’élargir nos multiples fractures sans résultat probant pour l’intérêt général.

Les Zones à Faibles Emissions (ZFE) en cours de déploiement témoignent surtout d’un appauvrissement du débat public : sus à la voiture, accablée de tous les maux. Or, passer de l’automobile du XXème siècle aux mobilités contemporaines suppose deux choses : dépasser le militantisme simpliste pour entrer de plain-pied dans une stratégie de décarbonation, et tenir la promesse de relier les territoires et les classes sociales.

Injustes, inefficaces, coûteuses, les ZFE n’y répondent en rien, dans leur version actuelle.

C’est contre-intuitif, mais l’air… n’a jamais été aussi pur ! La voiture, c’est 22% des oxydes d’azote et moins de 15 % des particules fines. Si toutes les activités humaines, dont ce support de liberté, sont néfastes pour la qualité de l’air, les chiffres du nombre de morts sont le fait d’études basées sur des modèles et non des chiffres réels.

On y confond la science avec de l’idéologie. C’est une vision incroyablement désinvolte. Pourquoi ne pas consentir plus d’efforts sur les chauffages des particuliers qui sont les principaux responsables d’émissions ? Pourquoi la pollution aux particules fines relevée dans le métro parisien, jusqu’à 30 fois supérieure qu’en surface, fait-elle manifestement l’objet d’autant de complaisance ? Comment expliquer ce deux poids deux mesures, si ce n’est par une propagande entièrement dirigée contre une automobile condamnée à l’avance ? S’agit-il de la supprimer, au motif fallacieux qu’elle ne sera jamais assez vertueuse ?...

Une aberration, bien sûr. Dans un pays vaste comme la France, l’essentiel des transports est le fait de la voiture, et les habitants des centres des 50 premières villes pèsent moins de 15% de la population. L’industrie automobile fait des efforts - comme aucune autre - pour se décarboner.

Ce n’est pas assez rapide disent les uns, et ce n’est pas soutenable disent tous les autres. Ce sont ces derniers qui ont raison car l’équation à résoudre compte de multiples facteurs. Le temps, naturellement, mais aussi le facteur financier avec les centaines de milliards d’euros d’investissements à dégager sous réserve de laisser la filière… respirer.

Il faut y ajouter le facteur du mix énergétique, avec un diesel honni mais pourtant revenu au niveau de l’essence pour les polluants et nettement plus performant en termes d’émissions de Co2. Enfin, songeons aux fermetures d’usines devant lesquelles on feint de ne pas voir la résultante de politiques souvent contradictoires et illisibles de la part d’un Etat « constructeur ».

En réalité, moins de 15% de la population impose une ligne de conduite aux 85% autres. C’est une bombe à fragmentation dans le champ social, et il s’agit de la déminer rapidement. Chasser le diesel revient à bannir 60% du parc. Les contraintes économiques sont telles, et les interdictions d’autant plus insoutenables qu’aucune alternative globale n’est proposée. Au total, les coûts publics et privés, ramenés aux tonnes de Co2 économisées, sont délirants. Sans oublier ce paradoxe si français : toujours plus subventionner par toujours plus de taxes.

Oui, l’usage immodéré de la voiture doit être régulé dans les zones denses, mais avec des solutions intelligentes : coordination de la transition par les collectivités locales, parcs relais en masse (30.000 places en Ile-de-France pour 3 millions de voitures en circulation chaque jour !), tarification de l’usage de la voirie non pour punir mais pour financer, exonérations ciblées, recettes fiscales fléchées vers les technologies et les infrastructures etc.

Le défi est de taille : comment répondre aux besoins croissants de mobilité tout en assurant un décrochage entre les émissions générées et la demande, sans déstabiliser la filière automobile ni exclure les populations concernées… Elément fondamental de la stabilité d’un pays, la mobilité devrait être au cœur du débat public. Force est de constater que nous en sommes loin. Le réalisme commande des mesures pragmatiques. Les Allemands le font. Pourquoi pas nous ?

*******************

Circulez, tout est prévu !

C’est le 18 novembre, au moment où des Français asphyxiés n’aspirent qu’à l’oxygène de la vie économique et sociale qu’un « Conseil National de l’Air » a été réuni. Il est vrai que le Pays ne manque pas d’instances, souvent redondantes, sur à peu près tous les sujets possibles. Celui-ci est important. La Ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili y a annoncé un renforcement des ZFE afin de réduire les émissions de polluants issues du trafic routier dans les métropoles du pays.

Soit. Et le communiqué de préciser : « La qualité de l’air est un enjeu majeur de santé publique : une étude réalisée par Santé Publique France estime que la pollution de l’air est responsable de 48.000 décès prématurés par an en France. Par ailleurs, de récentes études indiquent que le taux de mortalité des personnes infectées par la COVID-19 augmente significativement dans les villes dans lesquelles les citoyens sont exposés aux particules fines PM2.5. Or, le trafic routier est responsable d’environ 60 % des émissions d’oxydes d’azote et de 30 % des émissions directes de particules fines ».

Tout est dit. Aucune contradiction n’est permise. Les enjeux sanitaires, au sens large du terme, justifient désormais absolument tout, et il est donc recommandé d’abonder dans le même sens sauf à prendre le risque d’être immédiatement vilipendé en place publique.

L’air du temps est ainsi, et, d’ailleurs, des sondages en approuvent le courant : interrogés en juin 2018 par l’IFOP, 88 % de nos concitoyens sont en effet convaincus de l’augmentation de la pollution dans nos villes et 93 % des jeunes estiment inhaler un air de plus en plus pollué - ce qui en dit long, au passage, sur leur vision du monde et la négation du progrès.

Seulement 1 % des Français interrogés considèrent que la pollution a significativement diminué… ce qui est… la stricte vérité. Mais pour oser la dire, sans doute ne faut-il pas manquer d’air.

De fait, les taux de dioxyde de soufre, benzène, particules fines (fumées noires), plomb, monoxyde de carbone, dioxyde d’azote, et ozone ont chuté de manière plus que significative, comme le mesurent toutes les autorités accréditées. Ainsi, la distorsion entre les faits et la perception de nos contemporains est-elle étonnamment abyssale.

Peu importe, la cause est entendue et la loi d’orientation des mobilités a rendu obligatoire la création de ZFE dans les territoires en dépassement des valeurs limites de qualité de l’air, permettant ainsi aux collectivités de limiter la circulation des véhicules les plus émetteurs.

7 nouvelles métropoles créeront une ZFE en 2021 en plus des 4 déjà existantes (la Métropole de Lyon, Grenoble-Alpes-Métropole, la Ville de Paris et la Métropole du Grand Paris) - couvrant ainsi 511 villes pour une population de plusieurs millions d’habitants.

Implacablement, l’étau se resserre : « Pour ces 11 premières zones à faibles émissions, l’Etat encadrera les restrictions de circulation des véhicules crit’Air 5, 4 et 3 qui s’appliqueront à partir de 2023 dans celles qui ne sont pas sur une trajectoire leur permettant de respecter les valeurs limites de qualité de l’air. Les collectivités territoriales resteront libres de fixer des règles plus strictes (…) ».

Que les propriétaires de ces véhicules se le tiennent pour dit : les premiers procès-verbaux d’infraction tomberont avant la fin du quinquennat car c’est à cette échéance (également électorale) que le système de contrôle et de sanction devrait être réglementairement et techniquement opérationnel. Quant aux détenteurs d’une vignette crit’air 1 et 2, ils sont prévenus : Barbara Pompili a déjà milité cet été pour que les certificats de la qualité de l’air intègrent les émissions de Co2 et donc plus seulement celles de polluants atmosphériques que sont les particules fines et le dioxyde d’azote.

Et le communiqué d’enfoncer le clou : « Dans le cadre de la loi Convention Citoyenne pour le Climat, l’Etat amplifiera son action (…) en étendant les ZFE dans les agglomérations de plus de 150.000 habitants d’ici 2025, soit 35 nouveaux territoires concernés ». Seront par conséquent concernés plusieurs autres millions d’habitants, sans compter les échéances imposées en particulier par certaines villes comme Lyon, qui ont décrété le bannissement du diesel en 2025. Dans la ZFE du Grand Paris, les crit’air 5 à 2 seront interdits entre juin 2021 et janvier 2024 ! Ce n’est plus une quarantaine alternée, c’est une frontière intérieure. « Ils ne passeront pas »… !

De 2021 à 2025… Un calendrier idéal de technocrates aussi saturé que rapide, au nom d’un principe de précaution devenu absolu. Comment ? Tout est prévu.

C'est aux métropoles et à l’échelon intercommunal qu’est transférée la compétence de mettre en œuvre des ZFE. Une décision qui est loin d’être anodine, en éloignant les décisions politiques des populations concernées sous couvert de simplifications administratives. En réalité, cette mesure complexifiera et renchérira les conditions de circulation des personnes et des biens, désormais soumises à l’hétérogénéité voire à la surenchère de règles fixées par les collectivités locales. A l’inverse d’un choix de transition coordonnée, ce « laisser-faire » conduira, de surcroît, à aggraver les problèmes de congestion et donc à dégrader le bilan économique, social et environnemental.

Bref… tout est prévu. Circulez. C’est si simple, et tellement dans l’air du temps. Il suffit de regarder sur son pare-brise !... La technologie suivra, avec la lecture automatique de votre plaque d’immatriculation. Et les lois de finances feront le reste : en couplant les vignettes crit’air aux critères des primes à la conversion comme c’est déjà le cas, ou à adopter demain une fiscalité 3.0.

Tout est prévu, mais… Faut-il tout accepter comme des moutons de Panurge ?...

 ********************

Toujours plus !

Les statistiques d’un parc total de l’ordre de 40 millions d’unités, composé à quasiment 98 % de véhicules thermiques, ne doivent pas occulter des réalités sociales et territoriales très fortes, ni l’inertie avec laquelle il évolue dans le temps et dans l’espace.

C’est d’autant plus fondamental qu’une politique des mobilités ne saurait faire l’impasse sur l’état du Pays : forte désindustrialisation, paupérisation croissante, niveau préoccupant de défiance. Le tout dans une climat d’incertitude totale sur notre aptitude collective à surmonter la tempête économique et à saisir les changements massifs des modes de consommation. Cette conjonction a peu de précédent dans notre histoire contemporaine. Sans en rajouter (le faut-il ?), le niveau actuel du marché automobile a fait un bond en arrière de 50 ans, et les transports publics restent plombés par une dette et des pertes abyssales (3 milliards d’euros avec la 1ère vague épidémique).

On observe un retour significatif de la mobilité individuelle (l’horreur !...), partout dans le monde, simultanément à une perte de confiance d’une partie des voyageurs à l’égard d’opérateurs publics d’autant plus fragilisés que les collectivités territoriales sont elles-mêmes déstabilisées. Le constat est sans appel : il faut atterrir d’urgence et sortir de manichéismes étroits sans objet pour résoudre l’équation de la transition écologique sans casser la croissance ni fracturer la société.

« Le réel, c’est quand on se cogne » disait Jacques Lacan. Nous y sommes, et le financement de nos ambitions ne sera pas le dernier mur auquel nous allons tous nous cogner. Les experts du GIEC indiquent que pour contenir l’augmentation de la température à +1.5 C., il faut investir près de 3% du PIB annuel. En France, comme le fait remarquer Jean COLDEFY *, cela signifie plus de 70 milliards d’euros / an. « C’est le montant de l’impôt sur le revenu (faut-il le doubler ?), 50% de la TVA (faut-il l’augmenter de 50% ?), 2 fois la TICPE (…?), 3 fois l’impôt sur les sociétés (… ?). Il est crucial d’aborder la question du financement des mesures, sauf à rester velléitaires ».

Le renforcement des « crit’air » se fracassera contre des réalités têtues. Raison pour laquelle l’interdiction, l’exclusion et la punition ne sauraient servir de boussole à un projet de société dans un calendrier aussi court, avec des moyens sous contraintes. Pour Jean COLDEFY, « nos politiques publiques doivent être passées au crible de l’efficience des euros investis par tonne de CO2 économisée, afin de redéployer les crédits vers des actions qui aient un impact maximal, ce qui est très loin d’être le cas ».

Que l’on songe, en effet, aux 6 milliards d’euros annuels mobilisés sur l’éolien et le solaire alors que nous avons déjà l’une des électricités la plus décarbonée du monde. Ceci se traduit déjà par une augmentation de 25% des prix de l’électricité, sans aucun gain sur les émissions de CO2. « Avons-nous à ce point perdu le sens commun ? »…

Simultanément, le Parlement est train de voter un alourdissement significatif de la fiscalité liée aux malus. On s’y perd. En septembre 2020, le Rapport sur l’impact environnemental du budget de l’État publié par Bercy démontrait que le poids de la fiscalité verte était 3 fois plus important pour les 20% de Français les moins riches comparé aux 20% les plus aisés. Sidérant, dans un Pays champion du monde de la dépense sociale, en y consacrant un tiers de sa richesse.

En fait de sondage *, celui que vient de publier Ipsos est éclairant : l’environnement préoccupe l’opinion publique sans toutefois être prioritaire, passant après la pandémie, bien sûr, mais aussi après le coût de la vie, le chômage, la pauvreté et le système de santé.

Tout ceci paraît donc bien dogmatique, illisible, dangereux et inefficace.

-      Dogmatique : entre 2016 et 2018, le parc des véhicules crit’air 4 a baissé de plus de 14 %, les crit’air 5 ayant quasiment disparu. Ainsi, les rares études d’impacts indiquant que la mise en place de la ZFE permettra de diviser par deux la pollution par rapport à 2016 ne démontrent qu’une chose : elle ne fait que suivre l’évolution naturelle du parc automobile, engagée bien avant son instauration.

-      Illisible : la précipitation avec laquelle ces mesures sont prises est un facteur d’illisibilité. Entre l’injonction du Conseil d’Etat de faire baisser la pollution de l'air dans plusieurs grandes villes, sous peine d'une astreinte de 10 millions d'euros par semestre de retard, et le dernier ultimatum de la Commission européenne, la pression est tangible. Nos autorités courent après de multiples injonctions, là où il faudrait sentir les vents, souvent contraires, pour ajuster les voiles - ce que vient d’ailleurs de faire, ce 1er décembre 2020 la métropole du Grand Paris en repoussant de 6 mois la limitation de circulation des véhicules Crit'Air 4, au 1er juin 2021…

-      Dangereux : les motivations politiques sont un puissant alizé, à quelques semaines du dépôt du projet de loi traduisant les travaux de la Convention Citoyenne pour le Climat. Pourtant installée dans un contexte post Gilets Jaunes, ses recommandations se sont éloignées du fil conducteur initial - faire mieux accepter du Pays la transition écologique - au risque de constituer le plus sûr ferment de futures révoltes. Comme souvent, l’Allemagne montre la voie, beaucoup plus consensuelle, avec 50 ZFE depuis 2008… En France, on est encore en train de débattre s’il faut, ou non, une exonération nationale pour les véhicules historiques qui effectuent moins de 1.000 Km / an et font vivre 20.000 emplois. La réponse, souhaitons-le, devrait être positive. Il y a d’autres questions à régler…

-      Socialement irrespirable : la gestion des crit’air 3 et plus - 40 % du parc - est particulièrement problématique. Comment interdire à près de la moitié de nos concitoyens de se rendre à leur travail, sachant que les utilisateurs de la voiture sont très majoritairement ceux qui ne disposent pas de solutions alternatives ?... La comparaison * par département est instructive, entre la part de véhicules roulant au diesel dans le parc de véhicules particuliers, et le taux de ménages non imposables, marqueur de la fragilité d’un territoire. La frappante superposition des cartes devrait conseiller de combler ce fossé entre la France du thermique et celle des « banlieues chic » adeptes de l’électrique*.

En fait, il est à craindre que rien ne sera jamais assez propre ni jamais assez sécurisé. Une spirale folle du « toujours plus ». Demain, il nous faudra tous un « crit’air 0 » (et pourquoi pas - 1 ?) pour se déplacer, restaurant ainsi une mobilité de type censitaire : l’assignation à résidence pour les uns (2/3 des habitants du 93 possèdent un diesel), et la liberté au prix fort pour ceux qui le pourront. Par ailleurs, en dépit des efforts collectifs consentis pour accélérer le renouvellement du parc, on assiste, en fait de rajeunissement, à l’accroissement de son vieillissement… Cet échec relatif des politiques publiques - déployées hors Covid - interroge : comment s’orienteront les arbitrages budgétaires des prochains mois - au moment où l’on constate un boom des transactions de véhicules d’occasion… de plus de 15 ans ?...

-      Inefficace : alors que la mobilité est l'un des meilleurs outils pour résorber les inégalités territoriales et accéder à l'emploi, les ZFE interdiront l'accès des métropoles aux plus faibles pour des gains environnementaux peu significatifs et un coût public élevé. Rappelons que les propriétaires des crit’air 4 et 5 sont les ménages les plus modestes. Les aides publiques mises en place pour faciliter l’accès aux crit’air 3 ont généré un effet d’aubaine dont la conséquence est la mise au rebus - pour ceux pouvant se le permettre - de véhicules en parfait état de fonctionnement. Le tout, sans impact sur le climat et en négligeant la pollution induite par la fabrication.

Les journalistes et les politiques sont de manière assez homogène issus d'une culture métropolitaine. Pourtant, en France, les villes de moins de 20.000 habitants concentrent 68 % de la population. Le vase clos du périphérique parisien n’est-il pas en train de demander aux Français - et à la filière - de sauter trop haut, à un prix beaucoup trop élevé ? Ce mépris de la diversité des territoires en imposant à tous des problématiques d’hyper centres urbains, c’est persévérer dans des choix profondément clivants. On sait où ils mènent : à des ronds-points.

 ********************

Des particules de langage

Des particules de propagande sont en suspension dans cet air du temps. Des « éléments de langage », servis sur le plateau des réseaux sociaux sans vérifications ni mise en perspectives, tiennent trop souvent lieu de politique. C’est pourtant le plus grand facteur de pollution des esprits et dont ont toujours profité les courants totalitaires. Comment est-il possible d’accepter de pareilles marges d’erreurs ? L’époque se satisfait-elle d’approximations, alors que la gestion de la Covid-19 a enseigné l’exigence d’une transparence des faits ?

Ces excès ne servent pas la véritable écologie, dont le succès suppose une difficile et profonde « écologisation » de l’économie.

Souvenons-nous du premier confinement : avec l’arrêt quasi total de l’activité et la baisse spectaculaire de la circulation automobile, la qualité de l’air aurait dû considérablement s’améliorer. Il n’en a rien été. Selon Airparif, qui ne peut être soupçonné de complaisance, il n’y a ni améliorations ni même de différences. La région parisienne a même connu un pic de pollution le 28 mars… Un comble !

Cela ne signifie pas que les véhicules n’émettent pas de particules fines et d’oxyde d’azote. Cela signifie que la question de la pollution est complexe, que l’automobile n’en représente qu’une partie, et que les particules fines se déplacent sur des milliers de kilomètres.

Rappelons quelques données d’appréciation :

-      Selon AirParif, la circulation routière est responsable de plus de la moitié des émissions d’oxyde d’azote en zones urbaines et moins de 30% des particules. La voiture diesel est globalement responsable sur l’Ile de France de 22% des émissions de NOx et de 9% des émissions totales de particules. Le CITEPA, et les organismes de mesure de la qualité de l’air rendent compte de l’amélioration de la situation. La qualité de l’air en zone urbaine ne cesse de s’améliorer depuis 20 ans : les pollutions aux NOx et particules fines ont diminué de moitié entre 2000 et 2012 en Ile de France, mesure constatée dans la plupart des agglomérations.

-      L’automobile s’insère dans un cadre général particulièrement exigeant et étroitement contrôlé. La baisse « importante » de la pollution que vient de relever l’Agence Européenne pour l’Environnement est le résultat d’une amélioration des moteurs (suite aux normes euro) ... mais aussi, moins glorieusement, de la disparition d’industries. La législation européenne veillant à renforcer à juste titre la protection sanitaire des citoyens, la diminution des seuils d’alerte induit une hausse de la fréquence des épisodes de pollution.

Parallèlement, Bruxelles n'a cessé de durcir le cadre général : depuis la norme Euro 1 de 1992 on est passé de 970 mg/km pour les véhicules mis en service en 1993 à 4,5 mg/km pour les véhicules postérieurs à 2015 (Euro 6b). Pour tenir compte des particules les plus nocives, s'est ajoutée à partir de 2009 (Euro 5) une contrainte sur le nombre de particules émises par km. Ajoutons, enfin, la refonte du système européen de contrôle des normes d’émissions, avec le passage en 2017 du cycle dit « NEDC » au « WLTP » qui garantit la conformité aux conditions réelles de circulation.

Tout est toujours perfectible, mais tout a aussi un coût.

-      Concernant la présentation, dramatique, de 48.000 morts par an, la prospérité médiatique de ce chiffre est telle qu’il apparaît forcément fiable. Or, en réalité, Santé Publique France analyse la corrélation entre la pollution de l’air et le nombre de morts prématurées. Pour arriver à 48.000 morts, l’étude- basée sur le parc d’il y a 12 ans - a pris une valeur cible de microparticule de 5 microg/m 3, 5 fois inférieure à celle de l’Union Européenne. Or, cette valeur ne se rencontre que dans les communes de montagne situées à plus de 2.000 m d’altitude... C’est donc sur la base de ces hypothèses pour le moins discutables que l’étude conclue à une fourchette de 11 (sic !)… à 74.000 morts prématurées !

 ********************

Changeons d’ère !

Les allégations à l’encontre de la filière automobile sont graves. Elles insinuent dans l’opinion publique des peurs et finalement la négation d’extraordinaires progrès techniques. Hélas, la multiplication d’études plus retentissantes les unes que les autres n’ont pour seul but que d’instruire le procès à charge d’une industrie autour de laquelle nous devrions être rassemblés.

Ce n’est pas une démarche scientifique, c’est une croisade. Dans cette ère du soupçon, l’air est devenu irrespirable. Il faut enfin tourner la page du « dieselgate », et avancer ensemble.

Quelques suggestions pour le renouveler et, espérons-le, changer d’ère :

-      Pourquoi ne pas reprendre de l’altitude, ce qui commence par un peu plus d’humilité pour bâtir des plans d’actions tenables Privilégions la concertation entre pouvoirs publics, acteurs économiques et ONG plutôt que de publier des rapports dont l’absence de coopération signe les limites. Une politique des mobilités est avant tout au service des populations, qui n’ont pas besoin d’être infantilisées, mais d’être rassurées et motivées par une stratégie entraînante et une active pédagogie du changement.

-      Pourquoi ne pas donner plus d’air à l’agenda, dans un cadre national ? Question non accessoire : quelles exonérations faut-il inévitablement instaurer, pour les ménages, les entreprises, les transporteurs ?… Il revient à nos élus de répondre de manière franche, sans attendre de se retrouver captifs de nouvelles impasses économiques et sociales.

-      Pourquoi ne pas mettre sur pied une mission publique, ouverte aux parties prenantes, sur les évolutions des vignettes crit’air, afin d’identifier toutes les possibilités d’améliorations pour les voitures, véhicules utilitaires et industriels ? Exemples : pourquoi ne pas apposer des vignettes crit’air récompensant un entretien régulier du véhicule conformément aux normes du contrôle technique ? Pourquoi ne pas labelliser le grand marché du véhicule d’occasion par les professionnels ? Pourquoi ne pas attribuer aux Régions la gestion des fonds destinés au renouvellement du parc et à l’essor des nouvelles solutions de mobilités ? Comment mieux identifier et cibler les aides publiques nationales / locales disponibles en les accompagnant de prêts à taux zéro garantis par l’Etat ou la Région ? Pourquoi ne pas booster davantage le forfait mobilité durable ? Pourquoi ne pas engager une stratégie active dans le domaine du rétrofit ? Pourquoi ne pas engager une campagne positive, encourageant l’appropriation des ZFE grâce aux technologies embarquées ?

Autant de solutions où l’on passe de la punition à l’incitation, de l’interdit à la pédagogie.

A rebours des projets de censure de certaines publicités, il s’agit au contraire de populariser les atouts des technologies, tout en rentrant dans une nouvelle éducation routière centrée sur les bons usages ; oui, en fonctionnement optimal, un véhicule hybride rechargeable… doit être rechargé pour entrer dans une ZFE !...

-      Justement, comment lever tous les freins pour développer activement les bornes de recharge, clef des ZFE ? Si la France s’est mobilisée assez tôt, elle peine aujourd’hui à accélérer le déploiement de l’infrastructure au moment où les ventes des solutions électriques accélèrent. On atteint à l’hiver 2020 à peine 30.000 points accessibles au public (soit +50% à comparer, pour la même période à +175% pour les véhicules utilisant ces bornes) et on bénéficie de peu de bornes de recharge rapide (7% des bornes, contre le double en Allemagne et 75 % en Norvège), dont on a besoin aux bons endroits et au bon standard en résolvant les nombreux problèmes de réglementations et de financements.

-      Comment est-il possible de garantir la neutralité de l’Etat La puissance publique devrait s’employer politiquement à sortir de l’affrontement Bercy / Environnement. Elle serait inspirée de rester à égale distance des solutions technologiques en favorisant leur combinaison - sans jamais oublier le coût public de chacune. Le déni sur les performances du diesel récent est pathologique du manichéisme dont il faut s’extraire sur la base d’une étude incontestable. Promise en France depuis 2019… où est-elle ?

-      Sur ce point précisément, qui cristallise à tort toutes les passions, comment régler de manière apaisée le « problème diesel » avant que ne ferment d’autres usines, des sous-traitants et que n’interviennent des suppressions d’emplois à « bas bruit » dans les garages ?... Une vaste campagne de mesures en conditions réelles, publiée en octobre 2018, confiée à des organismes européens agréés, a confirmé des progrès tout à fait incontestables : tous les véhicules testés respectent la norme Nox actuelle.

On peut se demander ce qui peut objectivement entraver le classement d’un véhicule diesel en crit’air 1 dès lors que ses performances avérées le justifient, comme l’a suggéré en vain Bercy. Qu’attendons-nous ?...

-      Comment mieux intégrer l’éventail du mix énergétique dans les politiques publiques ? Alors que la norme euro 7 en préparation marquera une rupture en consacrant la fin du thermique à l’horizon 2035, on aimerait le même pragmatisme qu’outre-Rhin. Angela Merkel vient à cet égard de mettre en garde contre des normes d’émissions trop sévères en Europe. « Ce ne serait pas une bonne chose » de rendre le véhicule thermique « techniquement impossible » car « nous aurons bien sûr encore besoin des moteurs à combustion interne au cours des prochaines années ».

Pourquoi aller plus vite que l’Europe pourtant réputée la plus drastique au monde ? Pourquoi mettre une filière à plat alors que cette transition doit rester compatible avec l’emploi, et la mobilité indispensable en dehors des hyper centres urbains ?

-      Comment instaurer une solide gouvernance des mobilités ? La mobilité sera au centre des enjeux des prochaines élections régionales, avec pour levier le plan de relance. Vouloir ériger les collectivités locales comme des nouvelles cités interdites autonomes est une folie, alors qu’elles sont avant tout des poumons économiques. C’est prendre le risque, comme à Paris, de s’enfermer dans une stratégie confinée et stationnaire qui condamne au déclin culturel et économique. La mobilité, c’est à l’échelle des régions qu’il faut l’imaginer avec une régulation démocratique et une gouvernance ouverte aux parties prenantes dans un seul objectif : se positionner en tiers de confiance de la transition écologique et inventer / coordonner une palette de solutions innovantes.

-      Ne faudrait-il pas installer un conseil scientifique, chargé de publier toutes les données automobiles aux plans sanitaire et environnemental ? Ce conseil, indépendant, pourrait être la garantie de datas fiables, régionalisées, tout en apportant un socle technique solide sur lequel les politiques publiques nationales et locales pourront se référer. Il s’agit de fédérer les compétences disponibles autour d’une stratégie plutôt que de laisser se superposer des agences sur les territoires sans logique d’ensemble.

-      Accepterons-nous de prendre le temps ?... Des politiques de mobilités couplées à un nouvelle relation à nos espaces de vie et de travail, comme les investissements à mobiliser, s’inscriront sur une échelle de temps à 20 ou 30 ans. Oui, il faut un plan, solide, accepté.

Dans une tribune * « Un plan pour demain », Louis Gallois écrit : « Une véritable mise en mouvement du pays est un des enjeux majeurs du plan. Elle suppose la confiance. Pour cela, il faut du débat et de la transparence dans un pays rongé par le scepticisme et la défiance. Elle nécessite aussi beaucoup de pédagogie : dans une société de l'immédiateté, il faut réintroduire le temps long, l'esprit de persévérance, le sens de l'effort collectif ».

Il faut recontextualiser les enjeux. Avec une multiplication par deux des besoins de mobilité dans le monde d’ici 2050, une révolution enthousiasmante est à mener, et les solutions ne passeront pas par un malthusianisme naïf. Les idéologues, contrairement à nos scientifiques et à nos entrepreneurs, ne créeront aucune innovation ni aucun emploi.

La démarche des ZFE doit être rapidement remise à plat autour de l’inclusion sociale et de l’innovation. Chacun connait le mot fameux de Georges Pompidou, et il est grand temps, en effet, de laisser les Français en paix… et de conduire des politiques bien concertées et profondément acceptées par le Pays. A chacun ses « crit’air » pour agir.

Puisse notre législateur nous laisser respirer un peu ; et nous tous, ne pas tout attendre de l’Etat.

L’oxygène vital, c’est celui de la confiance.

Xavier HORENT, délégué général du CNPA, le 7 décembre 2020

 

Sources :

-      Articles de Jean COLDEFY, Directeur du programme Mobilité 3.0 chez ATEC ITS France

-      Article Le Monde du 30 novembre 2020, sondage IPSOS pour EDF portant sur 30 pays comptant les 2/3 de la population mondiale

-      Article Pro L’Argus du 17 novembre 2018, « Le diesel, signe extérieur de pauvreté »

-      Article Le Monde du 6 octobre 2020, « le véhicule électrique, star des banlieues chic »

-      Alain BONNAFOUS, Professeur émérite de l’Université de Lyon, chercheur au Laboratoire d’économie des transports, Tribune du 16 mars 2019, Le Monde

-      Louis GALLOIS, Président du conseil de surveillance de PSA et co-président de La Fabrique de l’industrie, Tribune du 26 novembre 2020, Les Echos

-      Etude McKinsey / PFA « Mobilités 2025 - 2030 », Mars 2020

-      Rapport 2019 du Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique (CITEPA) sur les émissions de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques en France

-      Données et études statistiques du Ministère de la Transition écologique et solidaire

-      Rapport spécial du GIEC sur les conséquences d'un réchauffement planétaire de 1,5°

-      Etude ACEA octobre 2020, Making the transition to zero emission mobility

-      Etude ACEA, Diesel : new data proves that modern diesel cars emit low pollutant emissions on the road