L'une est copilote en rallye et rallye-raid, l'autre est essayeuse automobile à L'Auto Journal. La Ligue de Défense des Conducteurs a donné la parole à Anne-Chantal Pauwels et Mélina Priam, deux professionnelles de la compétition, de la conduite et de la sécurité routière. Car ce n'est pas si souvent que l'on entend des femmes s'exprimer sur ces sujets...
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Anne-Chantal Pauwels (à droite sur la photo) : je suis copilote professionnelle en rallye (notamment aux côtés du pilote français François Delecour, note de la LDC) et rallye-raid, instructrice de pilotage auto depuis 1995 et pilote d'hélicoptère professionnelle depuis 2003. J’aime la vie, les rencontres sympas, les animaux, la nature et les voitures !
Mélina Priam (à gauche) : Je suis journaliste à l'Auto-Journal et donc, forcément je dirai, passionnée d'automobile et de sport automobile. C'est d'ailleurs la course, que j'ai pratiquée jeune (karting, Formule Renault et Coupes de marque sur circuit) qui m'a amenée à me tourner vers mon métier d'essayeur automobile. Je voulais essayer de vivre de ma passion, même un peu détournée.
Est-il aussi facile d'aimer l'automobile aujourd'hui que par le passé, à votre sens ?
Anne-Chantal Pauwels : Non, il est difficile aujourd’hui d’aimer l’automobile. Malheureusement, elle est médiatiquement trop diabolisée ! Même si notre époque devient bien plus vertueuse en termes de protection de l’environnement, notre nouveau défi, on ne peut renier le patrimoine français et européen qui nous lie aux voitures, les diverses innovations techniques automobiles qui ont permis à la France de briller dès la fin du XIXème siècle et de désenclaver la population en raccourcissant les distances, grâce à la construction d’un réseau digne de ce nom. Amener les Français à détester l’automobile est une hérésie : si l’on peut se passer de voiture dans les métropoles, qu’en est-il des territoires campagnards et/ou montagnards ? Comment se déplacer à la campagne avec les équipements sportifs de deux ados ? Comment rentrer du supermarché avec quatre sacs chargés de victuailles ? Comment rentrer de soirée de nuit ? Sans voiture, tout ça tourne au cauchemar.
L’autre vertu de nos voitures, hormis la liberté, est aussi d’offrir la possibilité d’apprécier à juste titre les sensations liées à la vitesse (je parle sur circuit bien sûr), les avancées technologiques et l’ingénierie, fleurons de l’industrie française. Dans ce domaine, notre pays est une terre d’inventions : on y parle d’énergie solaire de moteur à air comprimé ou même à eau, de voiture autonome… Des objectifs magnifiques qui laissent encore une place au rêve automobile. Les sports mécaniques, à eux seuls, pèsent 2,3 milliards d’euros dans l’économie française et génèrent 13 500 emplois directs.
Mélina Priam : En toute franchise, je pense que c'est beaucoup plus difficile aujourd'hui. Du moins lorsqu'on associe la passion automobile à la conduite pure. La voiture, qui fut longtemps, au-delà d'un objet de passion pour certains, un symbole de liberté et d'émancipation, est aujourd'hui montrée du doigt. Je ne juge pas de la pertinence d'essayer de la rendre plus écologique, plus citoyenne, c'est évident qu'il faut qu'elle s'adapte à son époque. Mais forcément, c'est plus difficile pour les puristes de vivre leur passion. Cela étant, l'automobile n'est pas qu'une affaire de conduite, c'est aussi un objet technologique, de design, de services aussi, et en cela elle reste absolument passionnante. Par exemple, les changements et les progrès réalisés ces dernières années sont impressionnants et très intéressants, notamment dans le domaine de la sécurité.
Que pensez-vous de la politique de sécurité routière en France aujourd'hui ? En tant que professionnelles du volant, mais aussi en tant que citoyennes ?
Anne-Chantal Pauwels : En tant que citoyenne, j’estime que l’usage de psychotropes (chez les jeunes), de médicaments anti-dépresseurs ou soporifiques (chez les plus âgés) et la conduite en état d’ivresse (chez les crétins) devraient être encore plus sévèrement réprimés. Quand on sait que l’alcool au volant est responsable d’un tiers des accidents mortels en France ! La politique de répression de la vitesse en France est inutile : l’éducation routière revue et corrigée permettrait de mieux conduire et d’avoir un peu plus de courtoisie au volant. Mieux conduire en analysant en permanence les revêtements sur lesquels on roule ; apprendre à freiner et anticiper sur route mouillée, gelée, enneigée ; prendre en considération tous les véhicules autour de nous quand on conduit ; être très attentif (conduire est une activité à 100 % de concentration), éviter la musique, ne pas téléphoner et ne pas fumer en conduisant. Des règles de bon sens qui, non respectées, deviennent facteurs aggravants d'accidents, voire déclenchants.
L’État pourrait reconsidérer la maintenance du réseau routier, actuellement de piètre qualité (signalisation inadaptée ou inexistante, nids-de-poule, etc.). Mais pour replacer les choses dans leur contexte, l’Etat français focalise sur les 3 493 tués sur les routes en 2019, quand 20 000 personnes meurent en France chaque année lors d’accidents domestiques ! Qui s’en soucie ?
Mélina Priam : Il est évident qu'il faut des règles, sur la route comme dans tous les autres secteurs de la vie commune et publique. Nous sommes très nombreux sur la route et il faut que cela se passe bien, que tout le monde cohabite de la manière la plus harmonieuse et sûre possible. Mais il faut que les règles en question soient respectées. Et pour être respectées, elles doivent être respectables et cohérentes. Elles ne le sont pas toujours, malheureusement.
Quel est votre rapport avec la vitesse au volant ? Qu'avez-vous pensé par exemple du 80 km/h imposé par le gouvernement d'Edouard Philippe sur les routes de France ?
Anne-Chantal Pauwels : J’approuve le retour d’une vingtaine de départements à 90 km/h. Pour info, on est limité à 95 km/heure en Grande-Bretagne (60 miles par heure), on y dénombre moins de 2 000 morts par an sur les routes, ce qui en fait le 2e pays le plus sûr sur les routes, après la Suède (où l’on roule six mois de l’année sur la neige) et le taux d’alcoolémie maximum est fixé à 0,8 g/l ! Imaginer réduire le nombre d’accidents sur les routes en diminuant la vitesse à 80 km/h était une hérésie, et la preuve de l'incompétence des consultants et dirigeants de notre sphère politique.
En revanche, il existe des endroits où, à mon sens, il faudrait baisser la vitesse de 80 à 70 km/heure (sur certaines nationales qui traversent des hameaux), passer toutes les agglomérations à la vitesse maxi de 40 km/heure (au lieu de 50) et autoriser la vitesse libre sur les autoroutes comme en Allemagne (certains tronçons y sont libres, d’autres réglementés à 110 ou 130 km/h).
Mélina Priam : Je vais être franche, j'aime la vitesse ! J'ai longtemps eu un rapport très décomplexé vis-à-vis d'elle, y compris sur la route. J'ai commencé le karting à 10 ans, donc mes réflexes, mes repères visuels ont été entraînés très tôt : la vitesse en voiture était "naturelle" pour moi. Apprendre à conduire "cool" dans une voiture autre qu'une voiture de course et sur la route au moment de passer mon permis a été… disons… compliqué. Mais j'ai vite compris aussi que sur la route, je n'étais pas sur un circuit. Heureusement !
Pour ce qui est de la limitation de vitesse, je crois qu'elle doit être adaptée aux situations, plutôt qu'afficher une valeur arbitraire commune à tout le réseau secondaire. Encore une fois, pour être respectée, une règle doit être respectable. Il existe des routes, des situations où rouler à 90 km/h ne pose pas de souci. D'autant que les voitures ont réalisé des progrès spectaculaires ces dernières années en matière de sécurité. Il faut saluer les efforts des constructeurs dans ce domaine : nous sommes plus en sécurité dans une voiture aujourd'hui qu'il y a vingt, trente ou quarante ans, et heureusement. Mais à l'inverse, il y a aussi des cas où rouler, même à 80 km/h, reste encore dangereux. C'est parce que ce n'est pas toujours adapté que le passage au 80 km/h a cristallisé le mécontentement des automobilistes.
Quels sont vos "bons réflexes" de conductrices, vos conseils de comportement au volant, que vous pourriez adresser à nos sympathisants ?
Anne-Chantal Pauwels :
- Chaque matin, après le petit déjeuner et la douche (+ un instant beauté pour les minettes), se demander : quelle est la température extérieure ? Y a-t-il un risque de verglas ? Ai-je les bons pneus sur ma voiture ? Ayons le réflexe "pneus hiver" sous les +7°C, c’est-à-dire entre la Toussaint et Pâques sur la moitié est de la France, par exemple.
- Apprendre à analyser le sol sur lequel on roule, en connaître les différents coefficients d’adhérence.
- Anticiper chaque manœuvre au volant, respecter les distances de sécurité.
- Être capable d'effectuer (ou apprendre) les freinages d’urgence.
- Apprendre les fondamentaux de dynamique automobile, pour comprendre comment va réagir une voiture en cas de scénario catastrophe !
- Enseigner aux jeunes, dès qu’ils ont le permis en poche, le b.a.-ba de la conduite sécuritaire, les freinages d’urgence et ce qui vient d’être évoqué ! (une heure de conduite suffit dans la plupart des cas, c’est donc peu onéreux et TRÈS valable !) et surtout les faire débuter à 15 ans en conduite accompagnée.
Mélina Priam : Il faut évidemment respecter le code de la route, mais surtout respecter les autres. Sur la route, il faut aussi conduire pour les autres, pas uniquement pour soi. À quoi cela sert-il, par exemple, de passer à l’orange quand la circulation est bloquée ? À se retrouver au milieu du carrefour et la bloquer encore plus ? Ou encore de changer brusquement de file à l’approche du péage ? Il y a malheureusement beaucoup trop de comportements « accidentogènes » qui sont liés à l’égoïsme et c’est ce que j’essaie d’éviter en premier. Et puis cela va de soi a priori, mais pas pour tout le monde semble-t-il, mais en voiture c’est zéro alcool (à mon sens, c’est beaucoup plus grave que de dépasser la limitation de vitesse de quelques km/h) et pas de portable. Quand on voit déjà comment les piétons se rentrent dedans à force d’avoir le nez sur le smartphone, il n’est pas bien difficile d’imaginer ce que cela peut donner sur la route avec, malheureusement, des conséquences beaucoup plus graves. Cela ne concerne pas uniquement les automobilistes, mais aussi tous ceux qui utilisent la route, même sans moteur : les cyclistes, les piétons et ceux qui se servent des nouveaux engins de mobilité. Les cyclistes aussi doivent s'arrêter au feu rouge et ne pas prendre les trottoirs pour des voies qui leur sont réservées.
Dimanche 8 mars, ce sera la Journée de la Femme. De votre côté, avez-vous l'impression que l'attitude des hommes vis-à-vis des femmes au volant a évolué ces dernières années ?
Anne-Chantal Pauwels : Au volant ou dans la vie, je dirai qu’on n’est plus à ça près… Il existe, à mon sens, deux grands mondes qui s’affrontent : le monde latin et le monde anglo-saxon. Avec des qualités et beaucoup de défauts à l’égard des femmes. Surtout chez les latins, persuadés d’être des pilotes hors pair (la plupart des Français sont de type latin…). On a un peu évolué depuis les années 2000. Avant, il n’était pas rare (donc TRÈS fréquent, n’est-ce pas) que j’arrive dans un atelier de préparation compétition pour m’entendre dire : « Il est où le journaliste/instructeur/pilote (rayer la mention inutile) ?
- Ben c’est moi !
- Vous y connaissez quelque chose, vous, en bagnole/hélicoptère/technique (rayer la mention inutile) ? »
Pour résumer, et « entre autres vexations » :
- Un élève en école de pilotage a refusé de passer lors d'une session de roulage à mes côtés dans une voiture, parce que j’étais une femme (en 1997).
- Un passager a refusé d’embarquer avec moi en hélico (en 2005).
Je dirai « No comment » et aussi « Ils ne savent pas ce qu'ils ont loupé » !
Ayant décidé de prendre la vie du bon côté, je ne me formalise pas de ce genre de comportement et ne voudrais surtout pas distiller ma gentillesse et mon savoir-faire à ce genre de personne.
Mélina Priam : Oui, quand même, et heureusement. Les clichés s'estompent et beaucoup d'hommes préfèrent être conduits que de conduire. Il ne faut pas oublier que la voiture a rendu de fiers services aux femmes. Elle a été un objet d'émancipation formidable, même si au début c'était réservé à une élite. Elle leur a offert une forme de liberté. Et je trouve toujours assez symbolique que les femmes aient eu le droit de conduire (le "permis de capacité", comme on l'appelait au tout début de l'automobile, a été délivré à une femme pour la première fois en 1898, note de la LDC) avant d'avoir le droit de vote (1944). Au début de l’histoire, sans doute les hommes n’avaient-il pas mesuré ce que l’automobile pouvait représenter. Et quand ils s’en sont aperçu et qu’il se sont aussi rendu compte que les femmes conduisaient beaucoup mieux qu’eux (ah ah ah), alors ils ont joué les gros bras. Comme toujours… Plaisanterie à part, je trouve aussi intéressant de souligner que le sport automobile (les sports mécaniques en général) est (avec les courses de bateau aussi) la seule discipline où les femmes se confrontent directement aux hommes. Ce sont à la fois des sports encore très masculins, et même machistes, mais c’est aussi une formidable opportunité pour les femmes.
Petite question subsidiaire : vous allez prendre part au Tour Auto en avril, en tant que pilote et copilote d'une Opel GT historique. Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste un rallye de régularité et en quoi cela diffère d'une course « de vitesse » ?
Anne-Chantal Pauwels : Un rallye de régularité est une épreuve routière d’un millier de kilomètres alternant les tronçons de liaison à vitesse normale sur route ouverte, où l'on suit les indications d’un road book et les tronçons de régularité sur route fermée d’une quinzaine de kilomètres, ou sur de célèbres circuits (Magny-Cours, Charade, Albi, Lédenon). À l’inverse d’un rallye moderne, le but est de tenir une moyenne imposée par l’organisateur, de l’ordre de 50 km/heure (en rallye moderne, on roule le plus vite possible sur les secteurs chronométrés). Le rôle du copilote est de contrôler à chaque instant le bon respect de la moyenne à tenir, mais à l’aide d’instruments de mesure à aiguilles : pas de GPS, pas de Tripmaster, rien que 2 chronos à aiguilles, le compteur hectométrique de la voiture et une montre à aiguilles pour les pointages aux contrôles horaires. Nos voitures de course sont « historiques », elles ont donc plus de 30 ans ! Le Tour Auto est une magnifique épreuve qui fait courir les voitures de course ayant un palmarès ou ayant participé à la célèbre course éponyme des années 1970. L’Opel GT sur laquelle nous courons vient d’être restaurée, elle a un moteur 1900 cm3 de 90 chevaux. Son poids plume (moins d’une tonne) en fait une arme redoutable. Nous l'avons un peu testée et la trouvons confortable, moderne pour une voiture de 1972, légère, maniable, facile à conduire.
Mélina Priam : J'ajouterais que pendant les spéciales ou même lors des épreuves en circuits fermés, il ne s'agit pas de faire le meilleur chrono comme en course de vitesse, mais d’avoir en permanence le moins d'écart possible avec cette moyenne de référence. Parfois, il faut cravacher pour la tenir, parfois il faut savoir lever le pied. Evidemment comme le niveau est très élevé, regarder son compteur ne suffit pas. Il faut vraiment être précis, pointilleux(ses). Cela impose par exemple de bien étalonner son compteur (pas facile sur des voitures anciennes). Et comme sur le Tour Auto aucun appareil de mesure n’est autorisé, il faut user de nos chronomètres à aiguilles en permanence et de nos tables de mesures élaborées à l'avance : un vrai casse-tête qui pimente sacrément la "balade" en voiture ancienne.
Propos recueillis par la Ligue de Défense des Conducteurs