Le récent ballon d’essai lancé sur la création d’une vignette pour payer l’entretien des routes est un des visages du paiement à l’usage. Cette philosophie revient à créer un millefeuille de taxes pour faire payer plusieurs fois des services qui sont déjà couverts par l’impôt et devraient donc être mis en œuvre sans paiement supplémentaire. Une fois de plus, ce sont les conducteurs qui sont au bout de la chaîne et sont taxés pour avoir le droit de circuler.
Le paiement à l’usage se présente souvent sous un jour favorable : par exemple, il peut s’agir de payer l’utilisation d’une voiture en libre-service selon la distance parcourue. Mais là où cette philosophie devient inacceptable, c’est quand elle est une contrainte pure, destinée à faire payer plusieurs fois chaque conducteur, alors même que la dépense liée à l’usage ainsi facturé est déjà budgétée. Pour bien comprendre, prenons l’exemple de l’éternel retour de la vignette automobile. Créée en 1956, elle était censée abonder un « fonds national de solidarité » pour aider les personnes de plus de 65 ans. Puis elle a été intégrée au budget de l’Etat. Elle aura donc servi surtout à collecter de l’argent, soit directement lors de son achat annuel, soit indirectement par la verbalisation des conducteurs dont le pare-brise ne comportait pas de vignette. Cette dernière ne fut supprimée qu’en l’an 2000 pour les particuliers et 2006 pour les professionnels.
Après cette vignette dont le tarif était assis sur la puissance fiscale du véhicule, une autre vignette fut créée en 2015, cette fois pour favoriser la qualité de l’air. Cette pastille, dénommée « Certificat qualité de l’air » ou « vignette Crit’air », est censée distinguer les véhicules selon leurs émissions de polluants. Or le niveau supposé d’émission est notamment évalué à partir de la date d’immatriculation du véhicule et sa motorisation. Donc, hormis la vignette zéro pour les véhicules électriques, les cinq autres catégories de cette vignette ont vocation à disparaître avec le renouvellement du parc automobile.
Croyez-vous que ce « Certificat qualité de l’air » sera pour autant supprimé ? Probablement pas. En effet, cette vignette a un autre usage depuis le 1er janvier 2018 : avec la réforme du stationnement payant, les agents de contrôle du stationnement qui veulent des informations sur un véhicule peuvent soit inscrire le numéro de la plaque d’immatriculation dans un boîtier électronique, soit scanner la vignette Crit’air à l’aide de ce même boîtier. Cela permet de dresser un « forfait post-stationnement », le nouveau nom du PV. La qualité de l’air n’a pourtant rien à voir avec le paiement du stationnement !
Mais ce n’est pas fini : certains experts qui ont l’oreille du gouvernement ont lancé l’idée d’une vignette destinée à payer l’entretien des routes. Or cet entretien relève de différentes autorités qui ont toutes la responsabilité d’y affecter un budget. Donc une route défoncée, c’est un service qui n’est pas rendu, alors qu’il est déjà payé par l’impôt. Alors, pour rendre le service effectif, on crée une taxe supplémentaire. Or une même personne a, au cours d’une journée ou d’une semaine, différents usages de la route : piéton, cycliste, conducteur de deux-roues motorisé, de voiture ou de poids lourds. Il serait donc artificiel de discriminer ces usages en vue d’une taxation.
Ce projet de vignette repose également sur un autre raisonnement spécieux selon lequel l’automobiliste ne finance pas les routes sur lesquelles il circule, contrairement au contribuable. Or un conducteur est souvent aussi un contribuable. Il paie donc déjà le service pour lequel on voudrait le surtaxer pour en tirer, chaque année, trois à cinq milliards d’euros supplémentaires ! En outre, un quart des dépenses d’un conducteur consiste en des taxes. Feindre de l’ignorer est surprenant, surtout de la part « d’experts » !
Certes, le gouvernement a démenti l’existence d’un projet de vignette pour l’entretien des routes. Cependant les experts ont d’autres idées, comme de créer des péages sur des routes autres que des autoroutes. C’est oublier volontairement que le péage autoroutier est la contrepartie d’une concession.
La Ligue de Défense des Conducteurs milite en faveur d’un meilleur entretien des routes, notamment par son site internet Activ’route. En revanche, l’association s’élève contre la multiplication des droits féodaux qui tendent à ajouter régulièrement des conditions financières à la circulation des véhicules. En effet, une grande part de l’énorme masse financière déjà prélevée sur les conducteurs est affectée à des politiques qui ne contribuent pas à la sécurité routière : ces sommes servent, entre autres, au désendettement de l’Etat. La Ligue de Défense des Conducteurs demande donc que l’argent de la répression routière soit davantage affecté à l’entretien des routes. En effet, la route est un bien commun dont il importe de ne pas segmenter le financement en fonction des usages : ce serait porter un coup certain au réseau routier national qui est un outil essentiel à l’aménagement du territoire. Ignorer cela reviendrait à tirer une balle dans le pied du développement économique de la France.