Il suffit d’un cas isolé flashé à 200 km/h sur autoroute pour rappeler combien les Français sont indisciplinés au volant et légitimer une implacable politique de répression routière. En réalité, signale Alexandra Legendre, porte-parole de la Ligue de Défense des Conducteurs, les "grands" excès de vitesse comptent pour 0,3 % des infractions constatées, contre… 58 % pour les dépassements inférieurs à 5 km/h.
Note : cet article a été initialement publié le 28 avril 2022 sur le site Capital.fr, où la Ligue de Défense des Conducteurs tient une tribune libre bimensuelle.
Suis-je ou ne suis-je pas une délinquante routière ? C’est la question que je me suis posée en recevant, il y a deux ou trois semaines, un PV pour excès de vitesse indiquant que j’avais été flashée à 112 km/h au lieu de 110. J’en entends déjà certains qui ricanent en disant 112 retenus, c’est un peu plus au compteur… pas joli-joli. Pourtant, je me souviens parfaitement des conditions de circulation : milieu d’après-midi, météo clémente, voies quasi vides et paf ! l’ami radar automatique qui immortalise mon coupable écart de conduite.
La suite, la plupart d’entre vous la connaît. Petit courrier posté depuis Rennes, fief de l’Antai (Agence nationale de traitement automatisé des infractions), 68 euros à régler, 45 seulement si je m’exécute illico, plus un point de moins sur mon permis. Comme la plupart d’entre vous, je paie et je soupire, avec l’amère impression d’être le dindon de la farce, de voir la sécurité routière servir de prétexte à une ponction de l’État dans mon portefeuille.
Ce même malaise me saisit à nouveau, alors que je découvre la réponse du ministère de l’Intérieur à une question posée par la sénatrice du Var Françoise Dumont qui, à la suggestion de la Ligue de Défense des Conducteurs, avait demandé à connaître la part des dépassements de limitations de vitesse inférieurs à 5 km/h. Il aura fallu un an tout de même pour récupérer cette réponse. Verdict : sur les 12,5 millions d’infractions constatées par des radars automatiques en 2020, 58 % concernent des "excès" de 1 à 5 km/h (sachant que dans 95 % des cas, ceux-ci sont inférieurs à 20 km/h ; les grands excès de vitesse, supérieurs ou égaux à 50 km/h et qui font les grands titres dans les médias, comptent quant à eux pour… 0,3 %).
Or, la totalité de ces excès de vitesse inférieurs à 20 km/h font l’objet d’une même contravention : amende forfaitaire (68 € hors agglomération ou 135 € en agglomération) et perte de 1 point sur le permis de conduire. Sauf que c’est bien souvent au détour d’un énième changement de limitation de vitesse, ou lorsqu’on détourne les yeux du compteur pour se concentrer sur les véritables dangers potentiels de la route, que l’on se retrouve très légèrement au-dessus du 80 ou du 110 km/h fatidique…
Cette inflexibilité provoque la colère et la frustration des conducteurs, qui se sentent la cible systématique d’une répression automatisée aveugle
Cette inflexibilité se révèle, il est vrai, lucrative pour l’État, puisque le paiement des 7,3 millions de contraventions dressées pour ces dépassements de moins de 5 km/h (1,44 million en agglomération et 5,85 millions hors agglomération) lui a rapporté, en 2020, pas loin de 400 millions d’euros, si l’on base notre calcul sur le règlement de 100 % d’amendes minorées (soit 45 € hors agglomération ou 90 € en agglomération). Mais cette même inflexibilité provoque aussi la colère et la frustration des conducteurs, qui se sentent la cible systématique d’une répression automatisée aveugle. Ajoutons que parmi les pays du monde ayant adopté le permis à points, seule la France en retire un pour ces micro-dépassements. Rappelons qu’en France, 770 000 personnes conduisent sans permis, tandis que dans son Projet de loi de finances 2022, le gouvernement a déjà prévu d’envoyer 13 millions de lettres informant les conducteurs d’un retrait de points en 2023, en hausse de 51 % par rapport à 2019, année pré-Covid… ce qui ne va rien arranger.
Aujourd’hui, alors que s’ajoutent aux radars de bords de route des centaines de voitures-radars privatisées qui se noient, anonymes, dans le flux de la circulation pour mieux piéger ces tout petits dépassements, il est grand temps de reconnaître les limites du tout répressif en matière de politique de Sécurité routière – comme l’a déjà fait, à plusieurs occasions, la Cour des comptes. De son côté, notre association réclame la suppression des contraventions pour les dépassements de vitesse inférieurs à 5 km/h, hors agglomération. De même, nous demandons que les automobilistes et les motards ne perdent plus de point sur le permis de conduire, dans les mêmes circonstances. Ce faisant, l’État montrerait sa volonté de dissocier, enfin, la sécurité routière de la rentabilité routière. En attendant, de mon côté je fais profil bas pendant six mois, histoire de récupérer mon point de permis.