Suppression de 12 points en cas de conduite sous stupéfiants : un summum de démagogie

La dramatique collision provoquée par l’humoriste Pierre Palmade le 10 février dernier a mis en lumière l’une des principales causes d’accidents, trop souvent oubliée par les pouvoirs publics : la conduite sous l’emprise de stupéfiants. Mais plutôt qu’annoncer des mesures constructives pour lutter contre ce fléau, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin surfe sur la vague de la démagogie. Navrant.

« Je propose le retrait des douze points du permis de conduire pour toute personne qui conduit alors qu’elle a consommé de la drogue ». Cette mesure à l’emporte-pièce que Gérald Darmanin a sorti de son chapeau à l’occasion d’une interview au Journal du dimanche le 19 février dernier en réaction à l’accident causé par Pierre Palmade, testé positif à la cocaïne, tombe à pic pour relancer sa côte de popularité en berne (33% d'opinions favorables, en baisse d'un point par rapport au mois précédent selon un sondage IFOP). Agir comme s’il découvrait que l’usage de stupéfiants au volant avait des conséquences dramatiques, déclarer qu’il allait sévir, quel meilleur moyen pour attirer les projecteurs ? 

Mais qu’attendait donc le ministre de l’Intérieur pour prendre le taureau par les cornes depuis son arrivée place Beauvau en 2020 ? Chaque week-end, des familles anonymes sont endeuillées pour la même raison sans que pour autant des mesures musclées viennent renforcer, durcir, intensifier la lutte contre la prise de stupéfiants au volant, responsable de 700 morts par an. On regrette qu’il ait fallu un drame ultra médiatisé pour qu’on l’entende enfin sur le sujet. Dommage, il est complètement à côté de la plaque.

Se sentant obligé de rattraper le retard, le ministre veut frapper fort et pense éradiquer le phénomène de la conduite sous emprise de stupéfiants avec ses douze points en moins. On peut néanmoins douter de l’efficacité de cette proposition pour lutter contre un fléau que l’État n’est déjà pas capable d’endiguer avec l’arsenal législatif à sa disposition.

Car celui-ci existe bel et bien. La conduite sous l’usage de stupéfiants est un délit, actuellement sanctionné de la perte de six points sur le permis de conduire. Et des peines complémentaires peuvent être décidées par un juge : suspension du permis, annulation du permis avec interdiction temporaire de le repasser, amendes, peines de prison, etc.

La question c’est donc plutôt de l’appliquer. Or aujourd’hui, hors accident, quelles sont les probabilités d’un contrôle suivi d’un test salivaire ? Infinitésimales. À la Ligue de Défense des Conducteurs nous avons d'ailleurs fait le calcul : en 2022, sur 800 000 contrôles "stupéfiants", 16 % se sont révélés positifs, ce qui représente 128 000 PV. Mettez ce chiffre en balance avec les 15 millions d'amendes pour excès de vitesse et vous réaliserez que vous avez 117 fois plus de chances de vous prendre un PV pour ce motif que pour usage de stupéfiants. Posez-vous la question vous-même. Combien de fois avez-vous dû vous soumettre à un dépistage de drogues lors d’un contrôle routier ? Maintenant, pensez aux millions, voire aux milliards, de fois où vous passez devant un radar de vitesse.

Certes, davantage de contrôles, de dépistages, de véritables campagnes de prévention, ça coûte de l’argent et ça demande des hommes sur le terrain. Pas comme les radars. Mais c’est comme ça qu’on va sauver des vies, vraiment. En revanche, vouloir loger à la même enseigne celui qui aura fumé trois bouffées sur un joint de cannabis une semaine auparavant et celui qui roule juste après s’être administré un cocktail cocaïne + méthamphétamines, sous prétexte qu’ils se révèleraient tous les deux positifs à un test de dépistage, c’est renier le principe de proportionnalité sur lequel le droit français est fondé et l’article 8 de la Déclaration de 1789 selon lequel « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ». C’est pourtant bien le sens de la proposition de Gérald Darmanin.

Depuis maintenant deux décennies, les pouvoirs publics se sont focalisés sur la vitesse, investissant des millions d’euros dans des milliers de radars de contrôle, qui 6 fois sur 10 flashent des excès de moins de 5 km/h. Les autres facteurs d’accidentalité (drogue, alcool, état des routes) sont restés les parents pauvres de la Sécurité routière, confinés à quelques campagnes de sensibilisation. Quant à la fameuse « peur du gendarme » elle a disparu en même temps que la présence des forces de l’ordre au bord des routes, remplacés par des radars. Elle a laissé la place à une forme d’impunité que certains irresponsables résumeront à « tant que je ne me fais pas flasher, il ne peut rien m’arriver ».