Depuis que le Premier ministre a imposé le 80 km/h sans concertation, les Français s’y sont farouchement opposés. Récemment, Edouard Philippe a annoncé la possibilité d’assouplir la mesure pour apaiser la grogne populaire. Mais finalement ce n’est que fumisterie et incohérence ! D’un côté, les départementales pourraient théoriquement revenir à 90 km/h, mais les nationales, qui sont des routes plus larges et mieux aménagées, resteraient bloquées à 80 km/h ; d’un autre côté, les présidents de Conseils départementaux n’oseront pas prendre de décision… Lamentable et aberrant !
Alors que le sujet de l’abaissement de la vitesse maximale autorisée à 80 km/h sur le réseau secondaire est un des sujets les plus brûlants du moment, détonateur de la crise du mouvement des Gilets jaunes (avec la hausse des taxes sur le carburant), Emmanuel Macron n’a même pas accordé le moindre mot au sujet du 80 km/h lors de sa conférence de presse d’après crise tant attendue du 25 avril.
Les annonces sur le 80 étaient tout autant attendues : mais pas un mot ! Et le lendemain, lors d’un séminaire des ministres, guère mieux… Seuls quelques mots du Ministre chargé des Collectivités Territoriales, Sébastien Lecornu, ont laissé espérer un aménagement du 80 km/h.
Face à l’embarras du Gouvernement, c’est finalement du Parlement que sont venues des idées : en mars, dans le cadre de l’examen du projet de loi d’orientation des mobilités (LOM), les sénateurs ont voté un amendement stipulant que la vitesse maximale autorisée pourrait être relevée sur les routes départementales (à l’initiative des présidents de Conseils départementaux) comme sur les routes nationales (sur décision des préfets). Mais le 16 mai, des députés LREM ont fait adopter, par une commission de l’Assemblée nationale, un amendement qui cantonnerait l'assouplissement du 80 km/h aux seules routes départementales... et qui maintiendrait l’application stricte du 80 km/h sur les routes nationales, sans aménagement possible !
Aberrant : les départementales à 90 km/h et les nationales à 80 km/h…
Si nous suivons la logique alambiquée LREM, seuls les présidents de conseils départementaux pourront décider de relever les vitesses maximales autorisées à 90 km/h : ce sont donc les routes départementales qui pourraient voir leur vitesse relevée à 90 km/h, tandis que les routes nationales resteraient limitées à 80 km/h. Or les routes nationales sont larges, elles comportent des accotements et parfois des bandes d’arrêt d’urgence, ce qui les rend d’autant plus propices à une circulation plus rapide !
Mais la logique LREM n’est pas à une incohérence près : si chaque président de Conseil départemental est libre de décider de relever la vitesse des routes départementales à 90 km/h, chaque département pourrait disposer de limitations de vitesse différentes concernant la même catégorie de route. Où est la logique ?
Or, qui fait les frais de cette logique incohérente ? Le conducteur ! Dans un premier temps, le conducteur se voit déjà imposer une mesure controversée, par un Premier ministre auto désigné « gourou de la sécurité routière ». Dans un second temps, le même conducteur doit deviner la vitesse à laquelle il doit rouler dès qu’il change de département. Pour les informations concernant la vitesse, bénéficiera-t-il d’un panneau indiquant les nouvelles vitesses à l’entrée de chaque département, à la manière des panneaux explicatifs lors d’un changement de pays ? Assurément, l’imbroglio des limitations de vitesse va créer de la confusion chez les conducteurs qui se feront piéger par les radars …
Lamentable : des élus qui n’oseront rien changer
De plus, cet amendement de la majorité place les présidents des Conseils départementaux en porte-à-faux. En effet, cette mesure engagerait directement leur responsabilité en cas d’accident sur le réseau routier dont ils ont la charge. Et surtout, la politique de culpabilisation menée par la majorité LREM risque bien de fonctionner comme le soulignent les députés Vincent Descoeur et Patrick Mignola :
« Si un élu remet cette limitation, il sera plus que jamais pointé du doigt et tenu pour responsable en cas d’accident » (Vincent Descoeur). Et cela, même si la vitesse est hors de cause !
« Je prends le pari qu'au premier mort, on descendra tous à 80 km/h » (Patrick Mignola).
On comprend bien que peu oseront franchir le pas… Donc, la majorité donne une réponse favorable à la fronde populaire tout en limitant les initiatives des élus pour concrétiser cette pseudo-largesse : c’est ce qu’on appelle communément une fumisterie !
Résultat ? Encore une fois, c’est le conducteur qui se retrouve piégé…
Le conducteur va se retrouver piégé par des changements de limitation de vitesse incessants lors de ses trajets : 30-50-70-80-90-110-130… Ce sera du pain béni pour les radars dans cet imbroglio de limitations de vitesse. Le conducteur risque de passer encore plus de temps à scruter le bord des routes et son compteur. De quoi accroître le danger sur les routes et le stress des conducteurs…
De plus, si la vitesse de certaines routes départementales repasse à 90 km/h mais que les routes nationales restent limitées à 80 km/h, les conducteurs, via les aides à la navigation, choisiront vraisemblablement de se déporter sur le réseau départemental, plus rapide. Cela revient donc à détourner les conducteurs des routes les plus larges et les mieux aménagées : incohérent !
Le Premier ministre avait annoncé que le 80 km/h serait bientôt appliqué "avec plus de discernement au plus proche du terrain". Or, c'est exactement le contraire que lui et la majorité parlementaire sont en train de faire : les limitations de vitesse vont être, plus encore que par le passé, totalement déconnectées de la réalité de la route, donc de la sécurité routière. Pire, l’assouplissement du « 80 » risque même de ne pas être appliqué du tout…
La France compte déjà bon nombre de limitations sur ses routes (30, 50, 70, 90, 110 et 130 km/h) et hors agglomération, une zone dangereuse est déjà signalée par une baisse locale de la limitation à 70 km/h (voire 50 ou 30 si nécessaire). Si la vitesse des départementales est relevée à 90 km/h, quelle est la place du 80 ? Si ce n’est de rendre encore plus illisibles les limitations de vitesse ou de piéger les conducteurs ?
Abandonner le 80 km/h permettrait de supprimer un échelon dans l’échelle des vitesses ce qui améliorerait la compréhension des limites de vitesse. C’est pourquoi la Ligue de Défense des Conducteurs continue de mener le combat pour l’abandon pur et simple du 80 km/h. Au minimum, pour une meilleure compréhension de la signalisation, il importe de faire du 90 km/h la règle, et du 80 km/h l’exception.