Fin ou pas fin des voitures thermiques en 2035 : l’Europe joue avec nos nerfs

Inaudible pour la majorité de la population, la décision d’interdire la vente de voitures thermiques en 2035, qui aurait dû être entérinée le 7 mars, est finalement reportée suite à un revirement inattendu des Allemands. Alors que la confusion la plus totale règne au sein de l’Union européenne, les dindons de la farce demeurent, et c’est révoltant, les conducteurs. À qui on n’a jamais daigné demander leur avis…

Imaginez-vous dans une pièce où on parlerait de vous, de vos besoins et des meilleurs choix de vie que vous pourriez faire, sans vous demander votre avis. On a bien conscience que vous êtes dans le coin, que vous n’êtes pas très content qu’on ne vous consulte pas directement, mais on considère que votre point de vue n’est pas pertinent. Parce qu’eux ils savent, et vous, vous ne savez pas.

C’est exactement ce qui est en train de se passer avec la voiture électrique. Elle ne répond pas à vos contraintes du quotidien ? Vous émettez par ailleurs des doutes sur cette politique « mono-carburant », qui balance des décennies de progrès sur le moteur thermique par la fenêtre, pour ne plus laisser la place qu’à une technologie que nos industriels maîtrisent moins bien que les Chinois ? En face, on fait la sourde oreille. Façon rouleau compresseur, on écrabouille vos objections sur l’autel de la santé publique.

Ne vous méprenez pas : bien sûr que tout le monde aspire à un air plus pur et que la chasse à la pollution doit être menée. Mais cette décision radicale de bascule vers le tout-électrique d’ici à 2035 s’est faite à un moment où l’industrie automobile était encore au stade de l’auto-flagellation, après le scandale du dieselgate de 2015… Discréditée, sa parole n’était plus audible, face à des élus européens déterminés à lui faire payer sa trahison. Pour redorer son blason, plus qu’une solution : se coucher. L’Europe veut de l’électrique ? On va lui en donner, comme ça on se fera pardonner.

On a bien entendu quelques protestations du côté de Stellantis, avec un Carlos Tavares qui souffle cependant le chaud et le froid. D’un côté, à de multiples reprises, il évoque ses réserves sur cette politique « de la solution unique » : « La décision dogmatique de ne vendre que des électriques en 2035 a des conséquences sociales pas gérables », déclarait-il en octobre dernier en parallèle du Mondial de l’auto. Sur RTL, il ajoute le 24 février dernier qu'il « y avait des solutions plus efficaces pour protéger la planète, plus efficaces et moins coûteuses pour les consommateurs et les finances de l’État ». « En même temps », il lance son groupe dans le tout-électrique. Pourquoi n'a-t-il pas claqué la porte, pour marquer son désaccord ? Il est vrai qu’avec une rémunération à 23,5 millions d’euros pour la seule année 2022, il est tentant de mettre ses convictions dans la poche de son pantalon avec un mouchoir dessus… Pour sa part, dans une interview à l’AFP en décembre dernier, Gill Pratt, directeur scientifique du plus grand constructeur mondial, Toyota, alertait : « Nous pensons que notre métier est de produire le plus grand nombre de véhicules en fonction de leur motorisation (thermique, hybride, hybride rechargeable, électrique ou à hydrogène). Nous essayons de démontrer que pousser de l’électrique, et tous les autres à zéro, n’est pas la meilleure solution ». Prudent, Toyota, mais aussi si riche et si international qu’à l’instar de Volkswagen ou de Hyundai-Kia, il a les moyens, lui, de continuer à développer toutes les technologies pour répondre à la demande mondiale…

Les conducteurs français dans tout ça ? Ceux-là même à qui on a asséné, pendant des décennies et surtout avant cette fameuse année 2015, que le diesel c’était ce qu’il y avait de mieux ? On dit d’eux – de nous en réalité – que ça y est, on franchit le pas. L’électrique, on est prêts, on est convaincus. La preuve, des ventes en hausse de 25 % des voitures électriques neuves l’an dernier. Et même + 46 % sur les deux premiers mois de 2023. Relativisons : concrètement, cela représente un peu moins de 203 000 voitures l’an passé et 34 200 en janvier et février. Comparons avec le nombre de véhicules d’occasion de plus de 15 ans qui ont changé de propriétaires durant la même période : 1 344 800 en 2022, 232 400 début 2023[1]. À peu près sept fois plus. Eh oui, elle est là la réalité : quand on change de voiture, nous sommes presque sept fois plus nombreux à opter pour une Clio III ou une 207, essence ou diesel, qui a depuis longtemps dépassé les 100 000 kilomètres au compteur, que pour une Zoé flambant neuve et 100 % électrique… Ce n’est pas parce que l’avenir de la planète ne nous intéresse pas, mais en premier lieu parce qu’on n’en a pas les moyens. Pourquoi faut-il à tout bout de champ répéter cette évidence ?

Le cynisme n’a pas de limites. Ainsi, Luca de Meo, directeur général de Renault, déclarait-il à L’Usine Nouvelle, en octobre 2022, quelques semaines avant d’annoncer qu’il fabriquerait désormais ses moteurs « traditionnels » avec l’immense groupe chinois Geely : « Le thermique restera un business relativement stable. C’est paradoxal, mais le pic des volumes au niveau mondial est devant nous. L’idée est d’être compétitif et de produire les moteurs à combustion près des marchés où nous vendrons du thermique ». Comprenez que pendant qu’ici, on est en train de nous tordre le bras pour nous faire acheter de l’électrique – avec le succès que l’on sait, le marché de voitures neuves en France étant retombé au niveau des années 1970, pendant que le parc automobile ne cesse donc de vieillir et atteint désormais 11,3 ans –, dans les autres parties du monde, on va pouvoir continuer à rouler à l’essence et au diesel. Sans compter qu’alors qu’on s’apprête à nous interdire l’accès aux voitures thermiques, à nous Européens qui comptons pour 5,6 % de la population mondiale, ailleurs sur la planète (États-Unis, Chine), on ne s’ennuie guère avec ces scrupules.

Décideurs politiques, industriels, arrêtez de jouer avec l’avenir de notre mobilité. L’électrique, c’est effectivement parfait pour ceux qui en ont l’usage et qui, accessoirement, en ont les moyens : comptez 35 100 € minimum pour une Renault Zoé, soit plus de 70 % plus cher qu’une Clio de base… déjà pas donnée, puisque ses tarifs commencent à 20 400 € depuis que la petite motorisation de 65 ch a quitté le catalogue. Le tout, dans un contexte d’augmentation du tarif de voitures neuves de plus de 20 % en deux ans. Mais pour les autres, l’orientation industrielle que vous avez prise implique d’insurmontables obstacles : ces modèles sont trop chers, leur autonomie est réduite, leur recharge compliquée, leur prix de revente incertain… Contrainte par les réticences de dernière minute de l’Allemagne, l’Union européenne a appuyé sur pause dans sa décision de mettre fin aux moteurs thermiques : qu’elle en profite pour se rappeler que les mieux placés pour savoir ce qu’il y a de mieux pour nous, c’est quand même nous !

[1] Source : Autoactu/NGC Data