Pour se « féliciter » du résultat de la mesure du 80 km/h sur la mortalité routière, le gouvernement avait largement communiqué, en juillet 2020. Quitte à se baser sur une méthodologie de calcul biaisée… En revanche, alors que le ministère de l’Intérieur vient de produire un rapport d’accidentologie sur le réseau routier où la limitation de vitesse a été, cette fois, rehaussée de 80 à 90 km/h, pas une annonce officielle sur son incapacité à « tirer à ce stade des conclusions précises en matière d’accidentalité », déplore la Ligue de Défense des Conducteurs, qui met ce document à votre disposition.
En juillet 2020, la Sécurité routière avait prétendu que l’abaissement de la vitesse de 90 à 80 km/h, après deux ans de pseudo-expérimentation, avait permis d’épargner 349 vies, chiffre repris à l’infini dans les médias. Pourtant, en épluchant les 122 pages du bilan officiel sur cette mesure, la Ligue de Défense des Conducteurs avait soulevé de nombreuses objections concernant la méthodologie employée pour aboutir à ce résultat. Il en ressortait deux faiblesses majeures :
- ce bilan avait été réalisé sur la base de l’accidentologie hors agglomération et hors autoroute, englobant sans distinction toutes les limitations de vitesse en vigueur sur le réseau départemental, de 70 à 110 km/h – mais cela, nous le savions déjà – ;
- il ne tenait pas compte des différents facteurs ayant engendré ces accidents mortels : alcool, stupéfiants, inattention, somnolence, route dégradée… et recensait toutes les victimes de la route, quelles qu’aient été les circonstances de ces drames.
En septembre dernier, notre association était à nouveau montée au créneau pour remettre en cause ces résultats. Notre analyse reposait cette fois sur les statistiques détaillées de mortalité routière douze mois avant l’application du 80 km/h, le 1er juillet 2018, et douze mois après, tout juste publiées par l’Observatoire national interministériel de la Sécurité routière (retrouvez notre analyse en cliquant ici).
Hier prêt à tous les raisonnements et déductions alambiqués pour démontrer l’efficacité de passage à 80 km/h, le gouvernement s’avère aujourd’hui moins enclin à mettre en avant l’étude que le ministère de l’Intérieur vient de faire parvenir aux parlementaires, intitulée « Rapport au Parlement sur la mise en œuvre des dispositions de l’article L. 3221-4-1 du Code général des collectivités territoriales » (traduisez la possibilité, pour les présidents de département, de rehausser la limitation de vitesse de 80 à 90 km/h sur leurs routes). Normal que la Sécurité routière ne s’en saisisse pas aussitôt pour communiquer : car rien ne prouve que la mortalité soit repartie en flèche après le retour de ces tronçons de route à 90 km/h.
Impact du retour à 90 km/h : trop tôt pour trancher, vraiment ?
Ce rapport affiche pourtant d’emblée une méthodologie plus rigoureuse, puisqu’il compile les informations communiquées par les Préfectures des départements où tout ou partie du réseau est repassé à 90 km/h. Ce qui signifie que l’accidentologie considérée se concentre exclusivement sur les 33 428 kilomètres qui ont abandonné le 80 km/h, répartis dans 37 départements (la période étudiée court sur 18 mois et s’arrête au 1er juillet 2021). Le mérite de ces remontées de terrain permet de résoudre l’un des deux défauts rédhibitoires signalés ci-dessus, puisqu’elles se limitent strictement au réseau concerné. « Certes, les résultats observés par les préfets ne prennent toujours pas en compte les autres facteurs d’accident et se concentrent exclusivement sur la vitesse, regrette Nathalie Troussard, secrétaire générale de la Ligue de Défense des Conducteurs. Cependant, au moins, nous avons la certitude que seuls sont répertoriés les tronçons initialement concernés par la mesure du 80 km/h, mais pour lesquels les présidents de département ont considéré que le rehaussement de la vitesse était préférable ». Or, le rapport du ministère de l’Intérieur est formel : impossible d’en « tirer à ce stade des conclusions précises en matière d’accidentalité […] », affirme-t-il. Trop tôt, pas assez de recul pour connaître l’impact du retour à 90 km/h, y explique-t-on. Il aura pourtant suffi de deux mois supplémentaires (vingt mois) pour célébrer le bilan « positif » du 80 km/h. À moins que cette fois, la méthodologie de calcul, plus rigoureuse, empêche de distordre la vérité et ne permette pas de prétendre que l’abaissement de la limitation de vitesse a sauvé des vies ?
Pour communiquer sur la mesure du 80 km/h, le gouvernement oscille entre deux stratégies : soit il arrange les résultats à sa sauce pour que les bénéfices apparaissent indiscutables, soit il les cache sous le tapis, observe la Ligue de Défense des Conducteurs. Mais dans son viseur, toujours la même coupable : la vitesse. Les autres facteurs d’accident, alcool, stupéfiants, dégradation des routes, restent en revanche les parents pauvres de la Sécurité routière et font l’objet d’une mobilisation gouvernementale nettement moins zélée.
Pour lire le "Rapport au Parlement sur la mise en oeuvre des dispositions de l'article L. 3221-4-1 du Code général des collectivités territoriales", cliquez ici.