Dans un petit village au cœur de l’Ain, nous retrouvons un sympathisant averti, mais au « bout de sa vie ». À 52 ans, Hervé a toujours mis un point d’honneur à suivre les règles depuis qu’il a obtenu son permis B en 1987, mais aujourd’hui, il s’avoue épuisé par cette véritable chasse à l’automobiliste tous azimuts : limitations de vitesse, Zones à faibles émissions, radars… Cet entretien est celui qui ressemble le plus à un cri de détresse, celui d’un automobiliste raisonnable, expérimenté, qui se sent abandonné et stigmatisé.
LDC : Quelle utilisation faites-vous de vos véhicules ?
Hervé : Je m’en sers tous les jours. La voiture pour le travail, c’est déjà 50 000 kilomètres par an. Pour aller au sport, faire des courses, c’est aussi la voiture. La moto, je m’en sers essentiellement le week-end, pour des balades ou lorsqu’on part en voyage. L’un comme l’autre, c’est tout le temps, personnellement je ne peux rien faire sans.
Impossible de vous en passer ?
Je ne vois pas comment à la campagne. Nous, on voulait être en ville, mais on ne peut pas, les terrains sont hors de prix, donc vous vous en éloignez, tout le monde fait comme ça. Vous reculez et vous êtes tout de suite à vingt ou trente bornes. C’est le même schéma partout.
Que ressentez-vous face à la stigmatisation de la voiture de la part de certains médias et représentants politiques ?
C’est consternant. Les gens qui prennent leur voiture, c’est pour aller bosser, nourrir leur famille, créer des richesses ! Moi je suis vendeur dans l’industrie, je ne me lève pas que par plaisir. Je gagne ma vie, je participe à la société, je me sens intégré, donc à un moment donné, je ne comprends pas cette stigmatisation. Cela fait des années qu’on est contre l’automobiliste. On est culpabilisés, cela devient insupportable. Moi je me sens citoyen et automobiliste ! Même les médias s’y mettent, avec une tendance à ringardiser les associations d’automobilistes comme la vôtre. Ça me fait mal au cœur, parce que si vous n’êtes pas là, on fait quoi ?
Parlons abaissements constants de la vitesse maximale autorisée. Quel impact ces mesures ont elles eu sur votre quotidien d’automobiliste ?
Ça me pèse énormément. Je n’ai plus envie de conduire, à un point où je me demande si je ne vais pas changer de métier. La mesure du 80 km/h a été un élément déclencheur. J’avais voté pour Emmanuel Macron, et à ce moment-là, je me suis senti infantilisé, je dirais même trahi. Si ça m’affecte c’est aussi parce que je le respecte. J’ai une vision qui est très respectueuse, j’estime que si on enfreint les lois on doit en assumer les conséquences… Mais pour le 80 km/h, c’est différent, je ne veux pas payer, il est hors de question que je rentre dans leur business de récupération de points !
Cette frustration, j’ai essayé de la digérer ces trois dernières années, mais elle ne passe pas. C’est une vraie injustice. Je suis un bon citoyen, je paye mes impôts, on a toujours bossé, on ne roule pas vite, on a des voitures qui ont 400 000 ou 500 000 kilomètres, on ne les massacre pas, on est raisonnables… mais finalement les gens comme nous, on est surtout des bonnes vaches à lait. Alors on se sent abandonnés et moi je n’ai plus confiance.
Justement, ces véhicules avec une longue durée de vie (le parc automobile français frôle les 11 ans d’âge moyen), essentiellement des moteurs diesel, seront à terme interdits dans les Zones à faibles émissions (ZFE). Comment allez-vous vous adapter ?
Quand j’entends que dans quelques années, il n’y aura plus de diesel, je me demande surtout « mais comment je vais travailler ? » Si toutes les villes de plus de 150 000 habitants sont obligées d’instaurer une de ces ZFE dans quelques années, je vais faire comment pour aller sur mes chantiers ? Je suis peut-être anxieux, mais ce qui m’inquiète surtout, c’est que les gens ne percutent pas. J’ai un véhicule qui a actuellement 450 000 kilomètres, j’ai envie d’en changer mais je suis complètement dérouté. Je demande conseil aux concessionnaires, mais ils le sont tout autant. Je roule 200 à 300 kilomètres par jour, la logique voudrait que je prenne un véhicule diesel. Le gazole reste dix centimes au litre moins cher que l’essence, après tout. Mais le problème, c’est qu’à terme, je ne rentrerai plus dans les ZFE. Un modèle essence ? Je me retrouverai dans la même situation, juste un peu plus tard. L’électrique ? Avec mon kilométrage quotidien, je fais quoi avec une électrique ? Une hybride, je ne vais jamais réussir à l’amortir financièrement. Il me reste quoi ? Rien. Donc je ne change pas de voiture, parce que je ne sais pas quoi prendre !
Quelle est votre opinion sur la politique anti-vitesse ? Comparée à la politique du contrôle d’alcoolémie ou de stupéfiants ?
Des radars, il en faut, je ne dis pas le contraire, mais il y a des limites. Par exemple, je considère les voitures-radars privatisées comme de l’abattage. Comme si on braquait les gens. Avec ces véhicules, impossible de rouler sereinement… On passe notre vie à voir notre vitesse surveillée par des radars ! Alors qu’effectivement, dans ma vie j’ai dû me faire contrôler une ou deux fois, maximum, pour mon taux d’alcoolémie. L’écart est en effet gigantesque. Mais les policiers et les gendarmes, ils font ce qu’on leur dit de faire. Eux sont capables d’interpréter, de diagnostiquer, de ressentir les choses, ce ne sont pas des machines et j’ai encore du respect pour eux. Le problème vient de plus haut. Je trouve les préfets carrément psychorigides… Pourtant, en règle générale, je le répète, j’accepte l’autorité !
Vous aimeriez, à l’approche de l’élection présidentielle, voir les candidats avoir une vraie « politique de la voiture » ?
Je pense qu’on en est très loin. Je n’attends que ça et ça ne vient pas. Encore faudrait-il qu’on estime l’automobiliste. Je suis un peu défaitiste mais je ne les entends pas, ils s’en fichent de nous, on n’existe pas ou quoi ? Je ne sais pas pourquoi ils ne veulent pas parler d’automobile, ça doit être tabou. Ils sont sur une autre planète, alors que pour nous, il n’y a pas d’alternatives à la voiture. Est-ce que ça, ils en ont mesuré l’impact, sur le bulletin de vote des gens ou l’abstention ?