La loi signant la fin du moteur thermique en Europe en 2035 est une hérésie économique et industrielle et la naissance de multiples contraintes pour les Français, selon Alexandra Legendre, porte-parole de la Ligue de Défense des Conducteurs, qui s’interroge aussi sur le résultat écologique de cette décision radicale.
Note : cet article a été initialement publié le 17 juin 2022 sur le site Capital.fr, où la Ligue de Défense des Conducteurs tient une tribune libre bimensuelle.
Début juin, 339 eurodéputés ont voté pour la fin du moteur thermique en Europe en 2035. Nous allons donc devenir, pour notre mobilité individuelle, dépendants d’une seule énergie. C’est d’autant plus regrettable que l’offre 100 % électrique, qui aurait pu aussi s’accompagner du développement intelligent des modèles fonctionnant au gaz naturel (une solution écartée malheureusement), permettait justement d’élargir le panel des motorisations disponibles.
Les conducteurs seront donc, à terme, à la merci des hausses du prix de l’électricité, sans plus aucune solution alternative. Et cela aura bien sûr aussi une incidence sur la facture de leur consommation domestique, qu’ils aient ou non une voiture. Aujourd’hui, l’État ramasse plus de 40 milliards d’euros par an grâce aux taxes sur le carburant. Il ne pourra pas se payer le luxe de s’en passer. Il faudra bien reporter ces taxes et soyons assurés qu’un jour, sans doute pas si lointain, le prix du kilomètre parcouru sera au moins aussi cher en voiture électrique qu’il ne l’est actuellement avec une voiture thermique.L’État ramasse plus de 40 milliards d’euros par an grâce aux taxes sur le carburant. Il ne pourra pas se payer le luxe de s’en passer
Et pour quel résultat concret ? Recourons à un calcul, simplifié puisque basé sur un parc automobile qui ne basculerait vers le 100 % électrique qu’à partir de 2035, alors qu’on peut supposer que de 1% aujourd’hui, il sera passé à une proportion légèrement supérieure. Sachant que 12 % des émissions de CO2 sont engendrées par les voitures particulières en Europe et que le marché automobile européen représente environ 18 % du marché mondial, la mesure concerne 18 % de 12 % des émissions mondiales de CO2, soit 2,16 %.
Une vingtaine d’années étant nécessaire au parc pour se renouveler entièrement et une voiture électrique n’étant écologiquement plus “vertueuse” qu’une voiture thermique qu’à partir de 50 à 70.000 kilomètres (sa fabrication étant plus polluante), soit environ cinq ans d’utilisation, il faut donc partir de l’année 2035 visée par l’Europe, y ajouter ces cinq ans puis vingt ans, pour estimer que l’on aura, en 2060 donc, baissé de 2,16 % les émissions de CO2 au niveau mondial.
Cela signifie que chaque année, la réduction au niveau planétaire sera de l’ordre de 0,11 %, dont 0,015 % de contribution de la France. Pire, n’étant pas mathématicienne de naissance et ayant soumis ce calcul à des esprits plus cartésiens, je comprends qu’en réalité, mon calcul est optimiste et selon les chiffres que l’on prend en compte, ce pourcentage se révèle… hyper optimiste.
Il y a fort à parier aussi que sur les 88 % de personnes qui, aujourd’hui, n’achètent pas d’électrique, une partie (probablement non négligeable) conservera le plus longtemps possible son modèle essence ou diesel, entraînant une chute des ventes de voitures neuves et prolongeant la vie de véhicules plus polluants. Les électriques nécessitant moins d’entretien, c’est donc toute la filière automobile française qui va souffrir, avec des dizaines de milliers d’emplois qui vont disparaître à la clé.
Cette obligation du tout électrique ne prend pas non plus en compte l’éventuelle pénurie de matériaux dont l’exploitation va exploser. Carlos Tavares, le patron de Stellantis (Peugeot, Citroën, Opel, Fiat, Jeep…) évoque pourtant, déjà, un problème d’extraction de lithium dès… 2024 !
Parallèlement, cette aubaine ouvre un véritable boulevard aux constructeurs chinois : grâce à la volonté d’aider les voitures électriques, ceux-ci, dont les moteurs thermiques ne sont pas aux normes européennes, trouvent ici une belle porte d’entrée. MG, Aiways ou encore Link & Co n’auraient pas posé leurs roues en France sans les aides de l’État. Même la Dacia Spring, best-seller actuel du marché électrique français, est fabriquée en Chine…
Malgré tout cela, voilà que l’Europe décide que l’énorme majorité des gens qui ne sont pas convaincus par l’électrique, ou qui n’ont pas de raison d’y passer (à ce jour, le manque de polyvalence de ces modèles peut être inadapté à certaines utilisations, sans compter le nombre toujours faible de points de recharge rapide), devront le faire. Alors que chaque hiver, déjà, on nous menace de pénurie d’électricité dès le moindre coup de froid, que se passera-t-il lorsqu’entre 18 heures et 20 heures, trente millions de voitures seront mises à recharger au moment même où des millions de foyers allumeront leur chauffage et leurs appareils électroménagers ?
Espérons que toutes ces interrogations, les ministres européens de l’Environnement les auront en tête, et feront appel à leur bon sens, avant de rendre leur décision. Je croise les doigts.