Les ralentisseurs hors-normes ou non conformes, la Ligue de Défense des Conducteurs les connait bien. Cela fait des années que notre association alerte sur les dommages matériels et/ou corporels qu’ils peuvent engendrer et que nous militons pour qu’ils cessent de pulluler dans les villes. Aujourd’hui, coup de tonnerre : le Syndicat des Équipements de la Route met en garde les entreprises qui accepteraient de construire ces ralentisseurs illégaux à la demande des communes.
Fin de la récréation pour les communes qui usent et abusent des dos d’ânes, ralentisseurs et coussins berlinois non-conformes à la réglementation (lire l’encadré) : il se pourrait qu’à très court terme, leurs élus ne trouvent plus de professionnels des travaux publics pour les construire… En effet, dans une note juridique tout juste publiée, le Syndicat des Équipements de la Route (SER) met en garde ces derniers sur les risques d’engagement de leur responsabilité lorsque le donneur d’ordre, à savoir les collectivités, exige l’installation d’équipements de la route ne répondant pas à la réglementation ou aux normes.
Aussi incroyable que cela puisse paraître, cette situation n’est pas inhabituelle. Elle est même courante. À la Ligue de Défense des Conducteurs, nous avons régulièrement à faire à des édiles à qui nous avons signalé, via notre application communautaire Activ’Route, que leurs ralentisseurs ne respectaient pas les normes en vigueur. Si la plupart tombent des nues, d’autres assument, car ils répondent à des demandes de riverains et estiment agir en faveur de la sécurité routière. Ils s’appuient d’ailleurs sur les recommandations du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), quand bien même ces dernières n’ont pas force de loi. Contrairement aux normes…
Le devoir de conseil revient sur le devant de scène
Or, le SER est plutôt bien placé pour connaître ces normes : c’est son métier. Ce syndicat sait que la responsabilité des professionnels des travaux publics peut être engagée, si leurs constructions ne sont pas conformes. Ils sont d’ailleurs obligés d’en aviser les donneurs d’ordre : il s’agit d’un devoir de renseignement et de vigilance des professionnels à l’égard de leurs clients. En effet, juridiquement, une entreprise, quel que soit son domaine, est considérée comme un « sachant », doté de compétences et de connaissances techniques qu’il doit mettre au service de son client, qualifié lui de « profane » ou « non-sachant ». Ainsi, selon un avis du Conseil d’État (n°190552), l’entreprise est tenue de prévenir, voire de refuser l’utilisation de produits et de matériaux non conformes. Rien de nouveau, mais la piqûre de rappel tombe à point.
Refuser le marché plutôt que d’engager sa responsabilité
Que les maires réclament des installations non conformes – une problématique fréquente en ce qui concerne les ralentisseurs – est une chose. Que ceux qui les construisent accèdent à leur requête en est une autre. Car il ne sera pas possible pour ces entreprises, en cas de litige ou de poursuites, d’arguer qu’elles n’avaient pas connaissance de la non-conformité de l’équipement, eu égard à leur qualité de « sachant ».
C’est pour cela que le SER se montre particulièrement clair et conseille aux professionnels de ne pas répondre à un tel marché, s’ils ne veulent pas risquer de voir un jour leur responsabilité engagée. Car lorsqu’une entreprise dépose une offre dans le cadre de la procédure de passation d’un marché public, elle s’engage à réaliser les prestations décrites. Plus d’échappatoire si elle remporte le marché. Mieux vaut donc refuser dès le départ un contrat bancal, plutôt que de se retrouver dans l’obligation de l’exécuter et de réaliser des équipements hors normes. Car le simple fait de prévenir le donneur d’ordre ne saurait mettre l’entreprise à l’abri d’éventuelles poursuites.
La marche à suivre est finalement assez simple. Si, en amont de la conclusion du marché, l’entreprise prévient le donneur d’ordre mais que ce dernier persiste et exige l’installation d’équipements non-conformes, alors il est préférable pour l’entreprise de refuser d’exécuter les prestations et de pas participer à l’appel d’offres.
Cette note apparaît comme une première étape (en réalité, il s’agit d’un rappel à l’ordre) pour mettre fin à ces trop nombreuses infrastructures illégales. Elle nous conforte aussi dans la démarche que nous avons entreprise avec l’association Pour Une Mobilité Sereine et Durable (qui a fait des ralentisseurs non conformes son combat quotidien) et l’Automobile-Club des Avocats, visant à se mobiliser contre ces équipements hors-normes, mais aussi à sensibiliser les médias et tous les professionnels concernés. S’il n’y a plus personne pour construire ces installations, le problème disparaitra de lui-même… encore faut-il détruire toutes celles qui ne respectent pas la réglementation.
Un ralentisseur illégal, qu’est-ce que c’est ?
La construction des ralentisseurs (de type dos d'âne ou de type trapézoïdal) est régie par la norme Afnor NF 98-300 et le décret n°94-447 du 27 mai 1994. Leurs dimensions sont encadrées. Ils ne peuvent excéder 10 centimètres de hauteur, et leur longueur doit impérativement être comprise entre 2,5 et 4 mètres. Le décret du 27 mai 1994 indique également que les ralentisseurs ne peuvent être isolés, mais doivent au contraire "être soit combinés entre eux, soit avec d'autres aménagements concourant à la réduction de la vitesse". Ils sont également interdits par exemple "sur des voies où le trafic est supérieur à 3 000 véhicules en moyenne journalière annuelle". Autre type de ralentisseurs illégaux, les coussins berlinois. Ces dispositifs en caoutchouc vulcanisé, qui constituent environ 30 % des ralentisseurs, sont interdits depuis 2009 et continuent pourtant de sévir en ville. La quasi-totalité des 450 000 ralentisseurs installés aujourd’hui en France ne respecte pas la réglementation.