Paris, le 25 mai 2023 – De plus en plus d’automobilistes ébahis, confrontés aux chaussées à voie centrale banalisée surnommées « chaucidous », contactent notre association pour en savoir plus sur ces aménagements qui fleurissent sur les routes de France. Officiellement, ceux-ci sont censés rester exceptionnels, comme si d’emblée, leur pertinence pour la sécurité routière laissait à désirer. Mais avec l’obligation d’instaurer des pistes cyclables imposée par la loi Lom, les chaucidous se reproduisent effectivement comme des petits pains… engendrant souvent stupeur et frayeur, alors qu’ils sont supposés améliorer la cohabitation sur la route des voitures et des vélos.
Le chaucidou, néologisme né de la contraction de « chaussée pour les circulations douces », décrit une chaussée à voie centrale banalisée ou CVCB, dont le principe est le suivant : plutôt que deux voies bien distinctes, une voie centrale est créée à destination des automobilistes roulant dans les deux sens. Autour de cette voie centrale, des « rives » de chaque côté, doivent permettre aux vélos et autres usagers d’évoluer « en toute sécurité ».
Si son principe est validé par une modification de l’article R.431-9 du code de la Route (décret n°2015-808 du 2 juillet 2015), aucune norme, aucun décret ne vient encadrer les conditions de construction d’un chaucidou : largeur et longueur minimum/maximum, description de la chaussée type sur laquelle cette solution s’avère la plus adaptée, évaluation de la densité de circulation... Jusqu’à présent, cet aménagement ne faisait guère débat tant il était peu courant (ils étaient 105 en 2019, selon un recensement réalisé par des universitaires ), mais il en va tout autrement depuis que la loi d’orientation des mobilités, adoptée fin 2019, impose des « itinéraires cyclables pourvus d’aménagements », à l’occasion « des réalisations ou des rénovations des voies urbaines, à l’exception des autoroutes et des voies rapides ». Un tour d’horizon de la presse quotidienne régionale permet de constater que des dizaines de projets de chaucidous sont tout juste réalisés ou en passe de l’être, dans partout en France (dans l’Aisne, l’Aude, les Côtes-d’Armor, les Deux-Sèvres, le Doubs, la Haute-Garonne, l’Indre-et-Loire, le Morbihan, la Somme, l’Yonne...).
Or, le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) n’a de cesse de souligner, à l’occasion de diverses études d’évaluation et notamment celle qu’il a publiée après analyse du chaucidou de Saint-Omer (Pas-de-Calais), que « cet aménagement de chaussée à voie centrale banalisée doit rester exceptionnel » .
« Qu’est-ce que ça veut dire, « exceptionnel » ? demande Nathalie Troussard, Secrétaire générale de la Ligue de Défense des Conducteurs. Se réfugiant derrière cet adjectif qui veut tout et rien dire, le Cerema valide le principe du chaucidou sans véritable restriction. Une vraie aubaine pour les collectivités locales, car cet aménagement est évidemment beaucoup moins onéreux qu’une vraie piste cyclable. Le risque, c’est de voir les chaucidous bientôt pulluler, à des endroits mal adaptés, sur des routes trop fréquentées, sans être correctement expliqués ou signalés... C’est ce qui est arrivé avec les ralentisseurs illégaux, encouragés par les mêmes recommandations douteuses du Cerema, dont on connaît maintenant les dégâts sur la sécurité routière et l’environnement . »
Si notre association s’interroge sur la pertinence du recours à haute dose aux chaucidous, c’est aussi à cause des témoignages que nous recevons sur le sujet : nos sympathisants s’inquiètent de cette fraction de seconde, nécessaire pour comprendre et réagir à la situation à laquelle ils se retrouvent nouvellement confrontés. Ce délai pourrait se révéler extrêmement dangereux, sachant que sur ces chaussées, la vitesse limite peut atteindre 70 km/h. Jean-Max Gillet, délégué général de l’association Maintenance des routes de France, confirme notre scepticisme : « Pour casser les vitesses, certains sont prêts à tout et à n’importe quoi. On se trouve aujourd’hui dans des configurations où l’automobiliste ne sait plus quoi faire et qui vont à l’encontre de ce que les ingénieurs avaient créé précédemment. Ces innovations locales ne font qu’accentuer le risque d’accident. »
Grâce à nos sympathisants, nous avons pu nous procurer plusieurs photos témoignant du danger de ce type d’infrastructure, que nous joignons à ce communiqué.
À l’échelle locale, de nombreux collectifs s’inquiètent eux aussi. Ainsi, dans la Sarthe, l’association de promotion du vélo Cyclamaine dénonce : « non seulement la peinture n’apporte jamais de sécurité aux gens qui se déplacent à vélo, mais dans ce cas le marquage est fait pour être franchi ». À Marsac-sur-l’Isle, en Dordogne, le collectif « Marsac bon sens » regrette le fait qu’ait été abandonné un projet de voie verte et de passerelle avec piste cyclable au profit « d’une voie partagée […], avec tous les dangers que cela comporte ». Dans le Doubs, la Maison de la sécurité routière 25 insiste elle aussi sur le fait que les chaucidous doivent demeurer le refuge ultime, précisant que « les expérimentations réalisées en France et à l’étranger ont montré que ce type d’aménagement peut convenir, suivant les configurations rencontrées, à des trafics allant jusqu’à 5 000 véhicules par jour ». Un point de vue passé à la trappe dans l’exemple de Saint-Omer cité plus haut : cet aménagement a été réalisé sur une chaussée où, toujours selon le Cerema, « Le trafic moyen journalier est de 12 259 véhicules »… à comparer avec un « trafic moyen journalier cycliste […] de l’ordre de 107 vélos ». Soit 0,8 % des usagers au quotidien. Tout ça pour ça !
Pour finir dans le genre ubuesque, le Cerema a constaté que la distance entre les voitures et les vélos avait tendance à se resserrer après implantation d’un chaucidou… Pour rappel, l’article R.414-4 du code de la route stipule que tout dépassement doit se faire à plus d’un mètre du cycliste en agglomération et à plus d’un mètre et demi hors agglomération, dans des « conditions normales de sécurité ». « L’urgence, exige Nathalie Troussard, c’est d’adopter des textes réglementaires régissant de manière très stricte le recours aux chaucidous. Mais aussi, de mieux en expliquer le principe aux conducteurs. Car cette manie de mettre la charrue avant les bœufs, en matière de sécurité routière, pourrait ici s’avérer criminelle ».
Pour en savoir plus :
Ligue de Défense des Conducteurs
Nathalie Troussard
Secrétaire générale
01 43 95 40 20/06 71 44 83 87
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